jeudi 4 mars 2010

Méthodologie - "Le Héron" - Jean de la Fontaine

LE HÉRON


Jean de la Fontaine



La première phrase composée des deux premiers vers dresse le portrait du principal protagoniste (en l’occurrence le héron) de la fable, tout en relevant, dès l’abord, l’idée d’une hésitation dans tous ses mouvements.

Plus que d’une description fouillée, il s’agit d’une épure à larges traits susceptible avec un minimum de mots de permettre une visualisation d’ensemble de l’oiseau, tout en donnant à la scène un ton humoristique. Il s’agit presque d’une caricature accentuée par la répétition oratoire du qualificatif long (longs pieds, long bec, long cou). On notera, par ailleurs l’adjonction d’attributs physiques anthropomorphes (ici des pieds pour des pattes), technique fréquemment utilisée par le fabuliste pour mieux doter ses sujets animaux d’attitudes et de sentiments humains - renforcée ici par l’utilisation dans son nom d’une majuscule initiale.

L’idée d’une hésitation transparaît tout d’abord dans la rythmique des deux premiers vers, constitués d’alexandrins à rimes plates, mais dont les césures sont rien moins qu’académiques. En effet, les accents de pause du premier vers restent pairs mais portent sur les 2°, 6°, 8° et 12° syllabes ; le deuxième vers est quant à lui cadencé par un rythme ternaire (3/3/3/3). L’hésitation est renforcée par l’utilisation des déictiques : « un jour » et « je ne sais où », qui au lieu d’apporter les précisions qu’on pourrait en attendre introduisent au contraire des incertitudes tant au plan temporel qu’au plan spatial.

Il convient de relever dans le « je ne sais où », l’introduction discrète du narrateur dans son récit, aux fins d’en accentuer la vraisemblance et les caractéristiques humaines.

L’image qui se dégage des deux premiers vers est bien la transposition à connotation humoristique de la démarche mal assurée d’un oiseau de taille démesurée.



Le troisième vers, constitué d’une phrase, marque une nouvelle pause syntaxique, et s’il conserve les principales caractéristiques des deux premiers vers, il amorce un changement de rythme dans le récit.

L’idée principale reste celle d’un déplacement du principal acteur de la scène, marqué par la poursuite de l’utilisation d’un verbe de mouvement, dans le cadre général d’une narration avec l’emploi de l’imparfait de l’indicatif. En tout état de cause, le cadre spatial se précise avec l’apparition d’un cours d’eau.

L’amorce du changement de rythme est quant à elle marquée par le passage de l’alexandrin à l’octosyllabe, introduisant un groupe de quatre vers (1 octosyllabe/2 alexandrins/1 octosyllabe) à rimes embrassées (abba).



Le vers 4 est à rapprocher du précédent dans la mesure où, comme lui, il constitue une pause syntaxique.

La poursuite de l’utilisation de l’imparfait de l’indicatif permet un passage de la narration à la description d’un paysage, tout en accentuant le lyrisme poétique de cette peinture.

Mais, par delà l’art poétique, le vers 4 a pour but de préciser certains des caractères du cadre spatial posé au vers précédent (onde synecdoque en reprise de rivière), en apportant une information nouvelle sur le cadre temporel - jusqu’ici laissé dans le vague avec le « un jour » du premier vers – avec « ainsi qu’aux beaux jours » (laissant à penser par opposition que la scène se déroule au cours d’une mauvaise saison).



Les vers 5 et 6 (constitués respectivement d’un alexandrin et d’un octosyllabe) marquent une pause syntaxique non entrecoupée ; Ils présentent deux nouveaux protagonistes de la scène évoluant dans le cadre spatial défini aux deux vers précédents.

Le narrateur joue à nouveau de l’anthropomorphisme pour définir ses personnages, qu’il affuble de surnoms familiers donnés à l’époque de La Fontaine aux habitants de la campagne et aux artisans (commère et compère). De la même manière que pour le Héron, la personnalisation est confortée par l’ajout au nom de l’animal d’une majuscule initiale.

La narration se poursuit sur le mode du mouvement (« y faisait mille tours ») accentuée par l’absence de pause entre les deux vers, les rimes seules étant garantes de leur longueur respective.

On notera, pour la seconde fois, l’intervention du narrateur dans son récit, aux mêmes fins qu’au vers 1, avec l’utilisation de « ma » (pour « ma commère »).



Avec les vers 7 et 8, le récit amorce un nouveau changement de rythme, où tout en mettant en présence ses trois personnages, le fabuliste opte pour le type argumentatif propre au genre de son récit.

Au plan de la rythmique, les vers 7 et 8 appartiennent également à un groupe de quatre, dont la longueur, cette fois, varie deux à deux (2 alexandrins suivis de 2 octosyllabes), mais à la disposition identique à celle des vers 3 à 6 (rimes embrassées).

L’hésitation, caractéristique du héron dès le début du texte, se retrouve au vers 7 avec l’emploi du conditionnel (passé 2°forme : « eût fait »).

L’action, quant à elle, se recentre sur le protagoniste principal qui devient le « héros » en gardant son statut quasi-humain (il demeure nommé, dans les mêmes conditions que pour sa présentation) alors que les deux poissons sont parallèlement dévalorisés. Cette dévalorisation se concrétise par leur « retour » à une forme d’anonymat (à l’inverse du Héron, ils ne sont plus nommés, mais désignés par de simples locutions : « en » de « en eût fait » et « tous » de « tous approchaient ») et par leur requalification en simple marchandise avec l’emploi en fin de vers de termes ressortant du champ lexical de l’appropriation (« profit » et « prendre » - encore s’agit-il en l’occurrence d’une appropriation facile, les deux termes étant renforcés respectivement par l’adverbe « aisément » et la négation exceptive ne que de « n’avait qu’à ».

Enfin le mode argumentatif se concrétise au plan de la ponctuation, avec l’utilisation des deux points, caractéristiques d’une démonstration effectuée.



Les vers 9, 10 et 11 forment à leur tour un ensemble, marqué à la fin du vers 11 par une pause syntaxique. Le ton demeure argumentatif, mais on observe une nouvelle rupture du rythme, cette fois entre l’action et les habitudes du héron.

L’auteur poursuit dans une totale liberté poétique au plan de la forme, en assemblant dans cet ensemble trois vers de longueurs différentes (deux octosyllabes et un alexandrin). Il convient également de relever la facture rigoureusement classique du troisième vers composé de deux hémistiches de six syllabes, corollaire au classicisme affiché par le héron dans ses habitudes.

Le ton garde un caractère argumentatif, qui se manifeste par un nouvel emploi des deux points, au plan de la ponctuation (vers 10), le fabuliste expliquant ensuite les raisons du non passage à l’acte du héron.

Les temps des verbes sont également significatifs d’une rupture entre l’action (ou plutôt ici l’abstention) et son explication. Tout d’abord, sont employés des temps marquant la rapidité d’une action (passé simple de l’indicatif, puis plus-que-parfait du subjonctif), ensuite viennent deux verbes à l’imparfait marquant la durée (ou en l’occurrence l’habitude). A ce sujet, l’emploi de termes ou d’expressions caractéristiques du champ lexical relevant de l’hygiène alimentaire (« régime » et « mangeait à ses heures » au vers 11) a pour effet de transformer humoristiquement une hésitation en habitude, voire en stricte hygiène de vie.

1 commentaire:

  1. L'analyse méthodologique d'une Fable (Le Héron) de la Fontaine à l'attention des étudiants en Lettres de 1° année.

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