vendredi 5 mars 2010

Le modèle du théâtre grec - La scène antique - Eschyle - Sophocle - Euripide

Le modèle du théâtre grec -La scène antique


ESCHYLE – SOPHOCLE - EURIPIDE



Si aujourd’hui, on peut aisément opérer la distinction entre TRAGEDIE et THEATRE, l’une devant être entendue comme un genre d’ouvrage artistique spécifique, l’autre signifiant à la fois le lieu physique où l’on représente ces œuvres et l’art de les mettre en scène devant un public, il apparaît qu’il y a eu confusion des deux, à l’origine dans la Grèce Antique, voire archaïque, les bases du théâtre se fondant dans la tragédie.









Et, si tout le monde s’accorde à trouver des fondements religieux à la Tragédie, les avis divergent à partir de l’étymologie même du mot quant au sens et à la teneur des rituels qui ont permis sa naissance.







Etymologiquement, TRAGEDIE provient des termes grecs ôdé (chant) et tragos qui a au moins deux sens possibles (du bouc ou du blé). D’Aristote au début du XIX° siècle, on a considéré que la Tragédie était née du Poème Dithyrambique exécuté en l’honneur de Dionysos par un chœur, dont les membres, les choreutes figuraient les satyres compagnons du dieu (d’où la référence au bouc) et donnaient la réplique à un chanteur, le coryphée.







Au XIX° siècle, d’autres sources prenant le terme tragos dans sa deuxième acception (du blé) ont préféré voir la Tragédie dériver de mythes agraires et de cérémonies en l’honneur de la déesse agreste Cérès. Certains, à l’instar de Nietzsche, y ont vu la fusion des cultes de deux divinités du chant : Apollon représentant la clarté et la lumière et Dionysos l’ivresse et le mysticisme.







Les sources les plus modernes, enfin, voient dans la Tragédie la transposition d’un rite funéraire archaïque : le sacrifice d’invocation. Dans ce dernier cas, le terme tragos reprend son sens de « du bouc » mais pour parler de l’animal sacrifié. Cette dernière interprétation a l’avantage à la fois d’expliquer les origines de la discipline, mais également celles du théâtre. En l’occurrence, il est fait référence à un rituel sacrificiel dont on voit une illustration dans l’Odyssée.







Homère montre en effet Ulysse au Pays des Cimmériens creusant une fosse d’une coudée de côté dans laquelle il verse le sang des victimes du sacrifice qu’il a accompli pour évoquer les morts et plus particulièrement Tirésias de qui il espère tirer une consultation prophétique sur les moyens de rejoindre Ithaque. Cette forme de sacrifice funéraire avait semble-t-il pour but une évocation du défunt au sens propre du terme, c'est-à-dire qu’il visait à faire revenir le défunt pour quelques instants parmi les vivants. Ainsi, dans les Perses d’ESCHYLE, assiste-t-on à une telle évocation, en l’occurrence l’appel au secours des vieillards perses au fantôme de Darius.







Et, autour des fosses où s’accomplissaient ces sacrifices, évoluaient en circonvolutions les officiants qui évoquaient le mort par des invocations et des danses religieuses. L’espace circulaire de leurs évolutions a été ensuite enclos. Cette esplanade ronde nettement délimitée a été baptisée orkhéstra et forme l’embryon de la scène théâtrale. A ce sujet, on mentionne au centre de l’orkhéstra du théâtre d’Erêtrie, en Eubée, l’existence d’une fosse reliée aux coulisses par un souterrain, et par laquelle arrivaient les personnages évoqués des enfers.







A ce point, l’école moderne rejoint les anciens et Hérodote qui fait remonter au VI° siècle et à Clisthène, tyran de Sicyone la séparation entre le rite strictement funéraire et le chœur tragique d’évocation aux morts et aux héros qu’il affecte au culte plus particulier de Dionysos. Ensuite, se développant à partir de la Béotie, et en passant par Athènes pour gagner l’ensemble du Peloponnèse, le culte dionysiaque va devenir celui de l’Art dramatique par excellence.





















Le genre lyrique du Dithyrambe prend effectivement son essor à partir du VI° siècle, avec des poètes comme LASOS d’HERMIONE, SIMONIDE de CEOS, PINDARE ou BACCHYLIDE. Et, comme je l’ai mentionné, il s’agissait d’une discipline collective exécutée par un chœur dont les participants, les choreutes répondaient par des chants et des danses aux déclamations du coryphée.









En 530, l’athénien THESPIS a l’idée de remplacer le coryphée par un acteur qui va dialoguer avec les choreutes et donne ainsi naissance à l’art théâtral.





















Mais c’est ESCHYLE, qui en faisant évoluer les conditions matérielles des intervenants et la technique théâtrale, peut être considéré comme le Père de la Tragédie Grecque.









Il naît à Eleusis en 525 av. JC et mourra en 456 av. JC en Sicile.









Au plan technique, il se montre encore plus audacieux que ses prédécesseurs en ajoutant un, puis deux nouveaux acteurs à l’acteur unique qui jusque là répondait au chœur ; et comme l’acteur jouait successivement plusieurs rôles, par ce procédé, ESCHYLE peut introduire dans ses pièces la variété et le mouvement qui vont profondément différencier le genre de l’épopée et du dithyrambe. Il convient de signaler que les acteurs sont exclusivement des hommes (même pour interpréter les rôles féminins).









Par ailleurs, HORACE, dans l’Art Poétique, lui attribue l’invention du masque (qui fait office de porte-voix), du cothurne, de la robe traînante et l’installation de la scène sur des tréteaux.





















A ce propos, à l’origine il n’existe pas de lieu scénique privilégié. Mais, il semble que les premiers édifices en bois voient le jour sur la base des enclos circulaires propres aux rites funéraires. Les ensembles permanents, construits en pierre à flanc de colline et pouvant accueillir parfois plusieurs milliers de spectateurs, apparaissent au V° siècle. Au milieu, l’orkhéstra d’abord circulaire, puis semi-circulaire n’accueille que le chœur et ses évolutions (à la période classique, il accueillera également les acteurs) ; face au public, la skênê est un bâtiment qui abrite acteurs et machinistes, son mur frontal reçoit les décors. Devant la skênê, le proskênion est l’espace où à l’origine évoluent les acteurs et qui sera ultérieurement rattaché à l’orkhéstra pour ne former qu’un seul ensemble.





















Au plan scénique, la confrontation des acteurs et des choreutes intervenant successivement, va entraîner une codification marquée du déroulement de l’action.









Le chœur chante la parodos (au début), les stasima (dans l’intervalle des actes), et l’exodos (à la fin).









La pièce proprement dite (interprétée par les acteurs) est dite dialogue et comprend le prologos (prologue avant la parodos) et les épisodes (correspondant à nos actes).







Le rôle du chœur apparaît comme primordial dans l’évolution du théâtre tragique grec vers son expression la plus moderne avec EURIPIDE. Au départ, et compte tenu de ses antécédents dithyrambiques, le chœur a un rôle moteur dans l’action, il tient la place d’un personnage collectif, et représentera ordinairement le bon sens et l’humanité. NIETZSCHE s’est d’ailleurs demandé à son sujet s’il ne s’agirait pas du « spectateur idéal » soit en tant que symbole du peuple en face de la classe princière à laquelle la scène était réservée, soit en tant que représentation d’un public particulièrement moderne et conscient d’être confronté à une œuvre artistique. Et ayant répondu dans les deux cas par la négative pour des raisons évidentes de lecture anachronique de l’Histoire, le philosophe, a fait sienne la thèse de SCHILLER, qui considérait le chœur antique « comme un rempart vivant dont s’entoure la tragédie, afin de se séparer du monde réel et de sauvegarder son domaine idéal et sa liberté poétique ».









Sur la vie et l’œuvre d’ESCHYLE, nous savons qu’il est le fils d’EUPHORION, de la caste des Eupatrides, et le frère de CYNEGIRE, célèbre pour sa prouesse contre les perses à la bataille de Marathon.









On sait qu’il a également combattu à Marathon (-490) et à Salamine (-480) ainsi qu’à Platée.









SUIDAS place son début au théâtre vers -500 (avant le début des guerres médiques). En -472, il atteint le premier rang avec Les Perses.









-467 : Tétralogie thébaine, dont faisaient partie Les Sept contre Thèbes.









-458 : L’Orestie, trilogie (Agamemnon, Les Choéphores et les Euménides) complétée par un drame satyrique : Protée.









Les Suppliantes (considérée comme l’œuvre la plus ancienne) et le Prométhée enchaîné (entre les Sept et l’Orestie) sont les deux autres pièces qui nous restent mais dont on peut donner la date avec exactitude.









Mais au total, ESCHYLE aurait fait représenter entre 70 et 90 tragédies et au moins 5 œuvres satyriques.









La tragédie d’ESCHYLE est, aux termes d’ARISTOTE une tragédie simple (par opposition à la tragédie implexe), en ceci qu’elle repose sur un fait unique, entier, d’une certaine étendue ; toutefois elle se borne à peindre les sentiments qui en résultent soit chez le chœur, soit chez les personnages en scène. Il n’y a pas à proprement parler d’action, ni d’intrigue, et tout l’intérêt vient de la peinture des sentiments et de la gradation qu’y apportent successivement l’arrivée d’un messager ou d’un acteur.









Les personnages ne sont pas seulement intéressants par eux-mêmes, mais aussi parce qu’on sent derrière eux une divinité redoutable et mystérieuse qui les pousse et règne à la fois sur les hommes et sur les dieux : la Fatalité. La Fatalité poursuit les coupables de père en fils, qui venge le crime par le crime, qui ruine les maisons royales et jalouse parfois l’homme en lui faisant expier sa prospérité.









Quoiqu’il en soit dans le profond sentiment religieux dont ESCHYLE est animé, on trouve le sentiment de justice. Tandis que sous le règne de Cronos, c’est le destin capricieux qui règle le monde, l’avènement de ZEUS et des dieux nouveaux y substitue une justice intelligente. C’est cette justice qui donne au théâtre d’ESCHYLE sa haute valeur morale. L’auteur a observé que cette justice se déplace dès qu’on en abuse. Celui qui, pour venger un crime, dépasse son droit, mérite à son tour d’être puni. Il en résulte pour l’homme une règle de vie dont il ne doit pas s’écarter s’il veut être heureux : c’est la modération en toutes choses.

1 commentaire:

  1. Un aperçu court mais didactique sur le théâtre antique grec et ses trois grandes figures (Eschyle, Sophocle et Euripide) à l'attention des étudiants en Lettres Modernes.

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