Alfred de MUSSET, « la confession d’un enfant du siècle ».
INTRODUCTION
En premier lieu, il apparaît nécessaire de tracer un bref portrait de l’auteur, en le replaçant dans les soubresauts de son temps.
Alfred de MUSSET naît en 1810, et ne connaîtra pratiquement pas la période napoléonienne, dans la mesure où il n’est âgé que de cinq ans lorsque l’Empereur abdique (1815) et que les Bourbons remontent sur le trône. il n’en a que onze lorsque Napoléon meurt en exil à Saint-Hélène (1821).
Il fait son entrée dans le cénacle romantique l’Arsenal en 1828, d’abord par l’entremise de Charles NODIER, son initiateur, puis sous les auspices de Victor HUGO. MUSSET n’a que dix-huit ans.
Au plan littéraire, il apparaît comme un auteur prolixe qui se frotte avec bonheur à tous les genres (poésie, roman, théâtre…). Dans sa vie privée, il est au moins autant prolixe en multipliant les aventures amoureuses, dont la plus connue et la plus tumultueuse est celle qu’il vit avec George SAND.
EN 1852, MUSSET est reconnu par l’élite littéraire de son temps et fait son entrée à quarante-deux ans à l’Académie Française. Mais, il meurt peu après en 1857, « encore jeune, mais déjà usé », diront ses hagiographes. Le second empire est alors bien installé. Il a sonné, pour un temps, le glas des espoirs que les romantiques avaient placé en lui.
Alfred de MUSSET écrit « la confession d’un enfant du siècle » - dont sont tirés les deux extraits, objets du présent exposé - en 1836, alors que Louis-Philippe est sur le trône et que la classe dominante a récupéré à son seul profit le gain des journées révolutionnaires de juillet 1830. Choisissant clairement son camp (on le verra au fil des deux extraits de texte), il y définit le « mal du siècle » dont souffre à ses yeux « la génération perdue » de ces enfants désespérés nés sous l’Empire. Et pour ce faire, il va s’appuyer sur un registre dichotomique (à l’instar de Mme de STAEL, lorsqu’elle pose les bases du romantisme) grâce auquel il promeut le monde à venir au détriment du passé, tout en utilisant quelques uns des ingrédients propres aux romantiques.
LE REVE BRISE DES ENFANTS DU SIECLE
De la même manière que dans le premier extrait, MUSSET exalte sur le ton de l’Epopée la période impériale, mais en la raccrochant cette fois nettement à la Révolution, dont elle a poursuivi l’œuvre et porté la vocation universelle. Selon lui, l’Empire n’est certainement pas un hiatus de l’histoire, mais la poursuite logique et non dissociable d’un processus entamé en 1789.
Les deux extraits contiennent des références historiques directes de l’indissociabilité des deux périodes :
• « Moscou » et « Les Pyramides » (extrait 1 - ligne 3) illustrent deux batailles, l’une au déclin de l’Empire, la deuxième marquant le début de l’ascension du jeune Bonaparte ;
• « des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution » (extrait 2 - lignes 9 et 10).
Bien que moins apparents, d’autres rappels historiques sont significatifs :
• « ils avaient rêvé pendant quinze ans… » (extrait 1 - ligne 2), l’Empire n’ayant duré que dix ans, l’auteur lui rattache bien une partie des guerres révolutionnaires (la période conventionnelle en l’occurrence) ;
• « ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes, on allait à une capitale d’Europe » (extrait 1 - lignes 3 et 4), référence aux conquêtes napoléoniennes.
LE REGISTRE DICHOTOMIQUE
L’engagement politique de l’auteur se décline également sur un mode nettement dichotomique, notamment dans son rejet de tout ce qui à l’évidence ou en filigrane ressort de l’Ancien Régime :
• « …avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme » (extrait 2 - ligne 2) est une référence claire au retour des Bourbons ;
• « ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre …tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain » (extrait 1 lignes 4, 5 et 6), de l’univers il ne restait rien, leurs villes même avaient été ravalées au rang de simples paroisses. Le monde s’est réduit comme une peau de chagrin. De fait, la restauration voit un retour aux frontières de 1789 et donc non seulement un abandon des conquêtes impériales mais également révolutionnaires.
Dans le deuxième extrait, Musset va poursuivre sur le mode comparatif, de la même manière que Mme de STAEL, mais pour opposer l’ancien régime passé et révolu qu’il réprouve au futur qu’il appelle de ses vœux :
• « derrière eux, un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines » (lignes 1 et 2) opposé à « devant eux, l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir » (lignes 2 et 3) ;
• « le vieux continent » (ligne 4) opposé à « la jeune Amérique » (ligne 4) ;
• « quelque blanche voile lointaine » (ligne 5) opposée à « quelque navire soufflant une lourde vapeur » (ligne 6) ;
• « semence » opposée à « débris » (ligne 8) ;
• « momie » opposée à « fœtus » (ligne 16).
LES INGREDIENTS ROMANTIQUES
L’auteur utilise tout au long des deux textes les pluriels qui accentuent l’idée de chant épique et sont significatifs de l’unanimité et de l’adhésion d’un peuple entier aux idéaux révolutionnaires transcendés par l’Empire. Il s’agit d’un élan collectif à la fois passionnel et fusionnel qui tient lieu de pensée ;
L’idée d’universalité de ces idéaux est non seulement géographique (jusqu’en Russie et par delà jusqu’en Orient) mais climatique (neiges et soleil) (extrait 1 -ligne 3).
Cette idée rejoint une autre constante romantique : la nature, mais dans ses aspects les moins marqués par le travail de l’homme :
• « l’Océan » (extrait 2 – ligne 4), « une mer houleuse et pleine de naufrages » (extrait 2 – lignes 4 et 5) ;
• mais aussi « la jeune Amérique » (extrait 2 – ligne 4), tant comme terre porteuse d’espoir en terme de liberté et d’égalité des chances, que comme continent vierge, terra encore largement incognita.
MUSSET évoque également le sang, mais à la différence du premier texte, il ne l’utilise pas en tant que vecteur de mort. Au contraire, il en fait une semence (« tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang qui avait inondé la terre » extrait 1 – lignes 1 et 2), un principe de vie (« ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines » extrait 2 – lignes 12 et 13), un élément liquide qu’il va opposer à la sècheresse et à la poussière des temps révolus (« fossiles » extrait 2 – ligne 2 ; « débris » extrait 2 – ligne 8 ; «sac de chaux plein d’ossements » extrait 2 – ligne 15 ; « momie » directement en concurrence avec « fœtus » extrait 2 – ligne 16.
On notera enfin la référence aux ruines dans les deux textes ; encore ne s’agit-il dans aucun des deux cas d’éléments décoratifs aptes à susciter la rêverie ou la mélancolie, mais plutôt de la symbolisation du rêve brisé (extrait - 1 ligne 1 et extrait 2 - ligne 2).
LE MAL DU SIECLE
Le mal du siècle c’est tout simplement le présent, période d’incertitude, de latence, d’attente, de vacuité, à la fois immobile et mouvante,
• « ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide… » (extrait 1 – lignes 4 et 5) ;
• « je ne sais quoi de vague et de flottant » (extrait 2 – ligne 4) ;
• « une amante de marbre » (extrait 2 - ligne 12) ;
• « ange du crépuscule qui n’est ni la nuit ni le jour » (extrait 2 – ligne 14) ;
• « l’esprit du siècle… serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant de froid » (extrait 2 – lignes 14 et 15)
Mais pour encore mieux marquer le mal-être que génère le présent, l’auteur termine par l’évocation des affres de la mort au travers d’une représentation hideuse (« ce spectre moitié momie et moitié fœtus » extrait 2 – ligne 16), image qui n’est pas sans rappeler les « fantasmagories » que montrent certains monuments funéraires du cimetière du Père-Lachaise à Paris.
CONCLUSION
En guise de conclusion, on peut dire que MUSSET se fait le chantre d’une cause qu’il a épousé assez tardivement, n’étant pas lui-même directement partie intégrante de cette génération perdue qui a connu dans sa jeunesse l’épopée révolutionnaire et la gloire impériale. Il ne cherche d’ailleurs à aucun moment – du moins dans les extraits présentés ici – à se mettre en scène. Néanmoins, il apparaît comme le porte-drapeau du « mal du siècle » même s’il n’est pas l’initiateur de la formule. D’autres, en effet l’ont précédé dans cette voie et lui ont peut-être indiqué le chemin…
A preuve ce poème composé dès 1830 (ode à la colonne) par Victor Hugo que je vous livre pour terminer :
Dors nous t’irons chercher ! – Ce jour viendra peut-être !
Car nous t’avons pour Dieu sans t’avoir eu pour maître ;
Car notre œil s’est mouillé de ton destin fatal,
Et, sous les trois couleurs comme sous l’oriflamme,
Nous ne nous pendons pas à cette corde infâme
Qui t’arrache à ton piédestal.
Oh ! va, nous te ferons de belles funérailles !
Nous aurons bien aussi peut-être nos batailles.
Nous en ombragerons ton cercueil respecté.
Nous y convierons tout, Europe, Afrique, Asie,
Et nous t’amènerons la jeune poésie
Chantant la jeune liberté.
mardi 2 mars 2010
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Une façon d'aborder le romantisme au travers de l'oeuvre de Musset : Confessions d'un enfant du siècle... ou le mal de vivre des enfants de la Révolution et de son plus grand exportateur Napoléon I° devenus pour cause de Restauration des héros sans emploi... rêvant d'une épopée finie.
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