Façonnier de l’Ecriture
LE BULLETIN SPORADIQUE DE L’ÉCRIVAIN PUBLIC
MARS 2010
A MINIMA
La bataille de l'orthographe et du vocabulaire est-elle en passe d'être perdue ? On serait tenté de le croire quand on voit les commissions de simplification de la langue française se multiplier. Et on se trouverait conforté dans cette opinion en constatant, forum après forum, l'appauvrissement de notre vocabulaire pourtant si riche de possibilités et de nuances.
Je me souviens d'un lointain professeur qui, déjà à l'aube des années soixante-dix se voyait confronté – selon ses termes – à une bande d'ignares (dont je faisais partie) alors qu'il se rêvait enseignant de culture générale. Mais, pas la culture générale au sens où nous l'entendons aujourd'hui ! Non, au moins celle de "l'Honnête Homme" de l'Epoque classique, ou mieux celle que possédait un "Pic de la Mirandole" de la Renaissance… Eh bien, ce brave homme nous avait appris qu'un berger, confronté à la solitude et… à son troupeau et ses chiens, employait un vocabulaire de 200 mots environ. Je suis sûr que si ce berger revenait parmi nous, il emploierait des termes que nombre de personnes "instruites" ne comprendraient même pas !
La faute à qui ? A quoi ?
Sans doute au premier chef, la faute à la vie actuelle qui pousse à la vitesse, à la rapidité, au "zapping", à la consommation et au jetable… Mais qui fait cette société, si ce n'est les leaders d'opinion et ce qu'on nomme (à tort ou à raison) les "consciences nationales" ?… Vous savez celles qui trouvent que l'étude de l'Histoire à l'école est inutile, celles qui font la promotion incessante de l'image au détriment de l'écrit, celles qui préfèrent de loin vous adresser un SMS ou un mail, plutôt que de s'adresser à vous directement…. Bref, tous les chantres du "toujours plus vite" qui vous répètent à longueur de temps qu'une bonne image vaut mieux qu'un long discours !
Au train où nous allons, il en va de plus en plus des mots comme des hommes. On n'en garde qu'une infime partie au nom de l'utilitarisme et on jette le reste aux oubliettes. Tous consommables. Tous jetables…
Il est certain qu'une société, dont les maîtres-mots sont struggle for life et "moi d'abord tant pis pour les autres" ne fabrique plus que des êtres réduits à leur seule individualité et poussés à l'égoïsme extrême. Cette logique new life n'est pas sans faire penser à celle qui présida à l'abolition des corporations et qui, au nom d'une très théorique "Liberté avec un L majuscule", livra pieds et poings liés des ouvriers plus seuls que jamais à une Caste de puissants toujours plus puissants et plus riches ! Il en va de même pour les mots. Au nom de je ne sais quelle Liberté (de préférence sans majuscule et sans accent !) on est en train de renier des siècles et des siècles d'Histoire qui ont fait que l'homme en est arrivé à un certain degré d'évolution (il ne s'y est pas subitement trouvé par un miracle de la génération spontanée !) et qui ont forgé peu à peu notre orthographe, notre vocabulaire et notre langue dans toute sa richesse et sa diversité.
Quand on commence à tout gérer et à penser "a minima", c'est la civilisation que l'on détruit pierre par pierre…
jeudi 25 mars 2010
vendredi 5 mars 2010
Le modèle du théâtre grec - La scène antique - Eschyle - Sophocle - Euripide
Le modèle du théâtre grec -La scène antique
ESCHYLE – SOPHOCLE - EURIPIDE
Si aujourd’hui, on peut aisément opérer la distinction entre TRAGEDIE et THEATRE, l’une devant être entendue comme un genre d’ouvrage artistique spécifique, l’autre signifiant à la fois le lieu physique où l’on représente ces œuvres et l’art de les mettre en scène devant un public, il apparaît qu’il y a eu confusion des deux, à l’origine dans la Grèce Antique, voire archaïque, les bases du théâtre se fondant dans la tragédie.
Et, si tout le monde s’accorde à trouver des fondements religieux à la Tragédie, les avis divergent à partir de l’étymologie même du mot quant au sens et à la teneur des rituels qui ont permis sa naissance.
Etymologiquement, TRAGEDIE provient des termes grecs ôdé (chant) et tragos qui a au moins deux sens possibles (du bouc ou du blé). D’Aristote au début du XIX° siècle, on a considéré que la Tragédie était née du Poème Dithyrambique exécuté en l’honneur de Dionysos par un chœur, dont les membres, les choreutes figuraient les satyres compagnons du dieu (d’où la référence au bouc) et donnaient la réplique à un chanteur, le coryphée.
Au XIX° siècle, d’autres sources prenant le terme tragos dans sa deuxième acception (du blé) ont préféré voir la Tragédie dériver de mythes agraires et de cérémonies en l’honneur de la déesse agreste Cérès. Certains, à l’instar de Nietzsche, y ont vu la fusion des cultes de deux divinités du chant : Apollon représentant la clarté et la lumière et Dionysos l’ivresse et le mysticisme.
Les sources les plus modernes, enfin, voient dans la Tragédie la transposition d’un rite funéraire archaïque : le sacrifice d’invocation. Dans ce dernier cas, le terme tragos reprend son sens de « du bouc » mais pour parler de l’animal sacrifié. Cette dernière interprétation a l’avantage à la fois d’expliquer les origines de la discipline, mais également celles du théâtre. En l’occurrence, il est fait référence à un rituel sacrificiel dont on voit une illustration dans l’Odyssée.
Homère montre en effet Ulysse au Pays des Cimmériens creusant une fosse d’une coudée de côté dans laquelle il verse le sang des victimes du sacrifice qu’il a accompli pour évoquer les morts et plus particulièrement Tirésias de qui il espère tirer une consultation prophétique sur les moyens de rejoindre Ithaque. Cette forme de sacrifice funéraire avait semble-t-il pour but une évocation du défunt au sens propre du terme, c'est-à-dire qu’il visait à faire revenir le défunt pour quelques instants parmi les vivants. Ainsi, dans les Perses d’ESCHYLE, assiste-t-on à une telle évocation, en l’occurrence l’appel au secours des vieillards perses au fantôme de Darius.
Et, autour des fosses où s’accomplissaient ces sacrifices, évoluaient en circonvolutions les officiants qui évoquaient le mort par des invocations et des danses religieuses. L’espace circulaire de leurs évolutions a été ensuite enclos. Cette esplanade ronde nettement délimitée a été baptisée orkhéstra et forme l’embryon de la scène théâtrale. A ce sujet, on mentionne au centre de l’orkhéstra du théâtre d’Erêtrie, en Eubée, l’existence d’une fosse reliée aux coulisses par un souterrain, et par laquelle arrivaient les personnages évoqués des enfers.
A ce point, l’école moderne rejoint les anciens et Hérodote qui fait remonter au VI° siècle et à Clisthène, tyran de Sicyone la séparation entre le rite strictement funéraire et le chœur tragique d’évocation aux morts et aux héros qu’il affecte au culte plus particulier de Dionysos. Ensuite, se développant à partir de la Béotie, et en passant par Athènes pour gagner l’ensemble du Peloponnèse, le culte dionysiaque va devenir celui de l’Art dramatique par excellence.
Le genre lyrique du Dithyrambe prend effectivement son essor à partir du VI° siècle, avec des poètes comme LASOS d’HERMIONE, SIMONIDE de CEOS, PINDARE ou BACCHYLIDE. Et, comme je l’ai mentionné, il s’agissait d’une discipline collective exécutée par un chœur dont les participants, les choreutes répondaient par des chants et des danses aux déclamations du coryphée.
En 530, l’athénien THESPIS a l’idée de remplacer le coryphée par un acteur qui va dialoguer avec les choreutes et donne ainsi naissance à l’art théâtral.
Mais c’est ESCHYLE, qui en faisant évoluer les conditions matérielles des intervenants et la technique théâtrale, peut être considéré comme le Père de la Tragédie Grecque.
Il naît à Eleusis en 525 av. JC et mourra en 456 av. JC en Sicile.
Au plan technique, il se montre encore plus audacieux que ses prédécesseurs en ajoutant un, puis deux nouveaux acteurs à l’acteur unique qui jusque là répondait au chœur ; et comme l’acteur jouait successivement plusieurs rôles, par ce procédé, ESCHYLE peut introduire dans ses pièces la variété et le mouvement qui vont profondément différencier le genre de l’épopée et du dithyrambe. Il convient de signaler que les acteurs sont exclusivement des hommes (même pour interpréter les rôles féminins).
Par ailleurs, HORACE, dans l’Art Poétique, lui attribue l’invention du masque (qui fait office de porte-voix), du cothurne, de la robe traînante et l’installation de la scène sur des tréteaux.
A ce propos, à l’origine il n’existe pas de lieu scénique privilégié. Mais, il semble que les premiers édifices en bois voient le jour sur la base des enclos circulaires propres aux rites funéraires. Les ensembles permanents, construits en pierre à flanc de colline et pouvant accueillir parfois plusieurs milliers de spectateurs, apparaissent au V° siècle. Au milieu, l’orkhéstra d’abord circulaire, puis semi-circulaire n’accueille que le chœur et ses évolutions (à la période classique, il accueillera également les acteurs) ; face au public, la skênê est un bâtiment qui abrite acteurs et machinistes, son mur frontal reçoit les décors. Devant la skênê, le proskênion est l’espace où à l’origine évoluent les acteurs et qui sera ultérieurement rattaché à l’orkhéstra pour ne former qu’un seul ensemble.
Au plan scénique, la confrontation des acteurs et des choreutes intervenant successivement, va entraîner une codification marquée du déroulement de l’action.
Le chœur chante la parodos (au début), les stasima (dans l’intervalle des actes), et l’exodos (à la fin).
La pièce proprement dite (interprétée par les acteurs) est dite dialogue et comprend le prologos (prologue avant la parodos) et les épisodes (correspondant à nos actes).
Le rôle du chœur apparaît comme primordial dans l’évolution du théâtre tragique grec vers son expression la plus moderne avec EURIPIDE. Au départ, et compte tenu de ses antécédents dithyrambiques, le chœur a un rôle moteur dans l’action, il tient la place d’un personnage collectif, et représentera ordinairement le bon sens et l’humanité. NIETZSCHE s’est d’ailleurs demandé à son sujet s’il ne s’agirait pas du « spectateur idéal » soit en tant que symbole du peuple en face de la classe princière à laquelle la scène était réservée, soit en tant que représentation d’un public particulièrement moderne et conscient d’être confronté à une œuvre artistique. Et ayant répondu dans les deux cas par la négative pour des raisons évidentes de lecture anachronique de l’Histoire, le philosophe, a fait sienne la thèse de SCHILLER, qui considérait le chœur antique « comme un rempart vivant dont s’entoure la tragédie, afin de se séparer du monde réel et de sauvegarder son domaine idéal et sa liberté poétique ».
Sur la vie et l’œuvre d’ESCHYLE, nous savons qu’il est le fils d’EUPHORION, de la caste des Eupatrides, et le frère de CYNEGIRE, célèbre pour sa prouesse contre les perses à la bataille de Marathon.
On sait qu’il a également combattu à Marathon (-490) et à Salamine (-480) ainsi qu’à Platée.
SUIDAS place son début au théâtre vers -500 (avant le début des guerres médiques). En -472, il atteint le premier rang avec Les Perses.
-467 : Tétralogie thébaine, dont faisaient partie Les Sept contre Thèbes.
-458 : L’Orestie, trilogie (Agamemnon, Les Choéphores et les Euménides) complétée par un drame satyrique : Protée.
Les Suppliantes (considérée comme l’œuvre la plus ancienne) et le Prométhée enchaîné (entre les Sept et l’Orestie) sont les deux autres pièces qui nous restent mais dont on peut donner la date avec exactitude.
Mais au total, ESCHYLE aurait fait représenter entre 70 et 90 tragédies et au moins 5 œuvres satyriques.
La tragédie d’ESCHYLE est, aux termes d’ARISTOTE une tragédie simple (par opposition à la tragédie implexe), en ceci qu’elle repose sur un fait unique, entier, d’une certaine étendue ; toutefois elle se borne à peindre les sentiments qui en résultent soit chez le chœur, soit chez les personnages en scène. Il n’y a pas à proprement parler d’action, ni d’intrigue, et tout l’intérêt vient de la peinture des sentiments et de la gradation qu’y apportent successivement l’arrivée d’un messager ou d’un acteur.
Les personnages ne sont pas seulement intéressants par eux-mêmes, mais aussi parce qu’on sent derrière eux une divinité redoutable et mystérieuse qui les pousse et règne à la fois sur les hommes et sur les dieux : la Fatalité. La Fatalité poursuit les coupables de père en fils, qui venge le crime par le crime, qui ruine les maisons royales et jalouse parfois l’homme en lui faisant expier sa prospérité.
Quoiqu’il en soit dans le profond sentiment religieux dont ESCHYLE est animé, on trouve le sentiment de justice. Tandis que sous le règne de Cronos, c’est le destin capricieux qui règle le monde, l’avènement de ZEUS et des dieux nouveaux y substitue une justice intelligente. C’est cette justice qui donne au théâtre d’ESCHYLE sa haute valeur morale. L’auteur a observé que cette justice se déplace dès qu’on en abuse. Celui qui, pour venger un crime, dépasse son droit, mérite à son tour d’être puni. Il en résulte pour l’homme une règle de vie dont il ne doit pas s’écarter s’il veut être heureux : c’est la modération en toutes choses.
ESCHYLE – SOPHOCLE - EURIPIDE
Si aujourd’hui, on peut aisément opérer la distinction entre TRAGEDIE et THEATRE, l’une devant être entendue comme un genre d’ouvrage artistique spécifique, l’autre signifiant à la fois le lieu physique où l’on représente ces œuvres et l’art de les mettre en scène devant un public, il apparaît qu’il y a eu confusion des deux, à l’origine dans la Grèce Antique, voire archaïque, les bases du théâtre se fondant dans la tragédie.
Et, si tout le monde s’accorde à trouver des fondements religieux à la Tragédie, les avis divergent à partir de l’étymologie même du mot quant au sens et à la teneur des rituels qui ont permis sa naissance.
Etymologiquement, TRAGEDIE provient des termes grecs ôdé (chant) et tragos qui a au moins deux sens possibles (du bouc ou du blé). D’Aristote au début du XIX° siècle, on a considéré que la Tragédie était née du Poème Dithyrambique exécuté en l’honneur de Dionysos par un chœur, dont les membres, les choreutes figuraient les satyres compagnons du dieu (d’où la référence au bouc) et donnaient la réplique à un chanteur, le coryphée.
Au XIX° siècle, d’autres sources prenant le terme tragos dans sa deuxième acception (du blé) ont préféré voir la Tragédie dériver de mythes agraires et de cérémonies en l’honneur de la déesse agreste Cérès. Certains, à l’instar de Nietzsche, y ont vu la fusion des cultes de deux divinités du chant : Apollon représentant la clarté et la lumière et Dionysos l’ivresse et le mysticisme.
Les sources les plus modernes, enfin, voient dans la Tragédie la transposition d’un rite funéraire archaïque : le sacrifice d’invocation. Dans ce dernier cas, le terme tragos reprend son sens de « du bouc » mais pour parler de l’animal sacrifié. Cette dernière interprétation a l’avantage à la fois d’expliquer les origines de la discipline, mais également celles du théâtre. En l’occurrence, il est fait référence à un rituel sacrificiel dont on voit une illustration dans l’Odyssée.
Homère montre en effet Ulysse au Pays des Cimmériens creusant une fosse d’une coudée de côté dans laquelle il verse le sang des victimes du sacrifice qu’il a accompli pour évoquer les morts et plus particulièrement Tirésias de qui il espère tirer une consultation prophétique sur les moyens de rejoindre Ithaque. Cette forme de sacrifice funéraire avait semble-t-il pour but une évocation du défunt au sens propre du terme, c'est-à-dire qu’il visait à faire revenir le défunt pour quelques instants parmi les vivants. Ainsi, dans les Perses d’ESCHYLE, assiste-t-on à une telle évocation, en l’occurrence l’appel au secours des vieillards perses au fantôme de Darius.
Et, autour des fosses où s’accomplissaient ces sacrifices, évoluaient en circonvolutions les officiants qui évoquaient le mort par des invocations et des danses religieuses. L’espace circulaire de leurs évolutions a été ensuite enclos. Cette esplanade ronde nettement délimitée a été baptisée orkhéstra et forme l’embryon de la scène théâtrale. A ce sujet, on mentionne au centre de l’orkhéstra du théâtre d’Erêtrie, en Eubée, l’existence d’une fosse reliée aux coulisses par un souterrain, et par laquelle arrivaient les personnages évoqués des enfers.
A ce point, l’école moderne rejoint les anciens et Hérodote qui fait remonter au VI° siècle et à Clisthène, tyran de Sicyone la séparation entre le rite strictement funéraire et le chœur tragique d’évocation aux morts et aux héros qu’il affecte au culte plus particulier de Dionysos. Ensuite, se développant à partir de la Béotie, et en passant par Athènes pour gagner l’ensemble du Peloponnèse, le culte dionysiaque va devenir celui de l’Art dramatique par excellence.
Le genre lyrique du Dithyrambe prend effectivement son essor à partir du VI° siècle, avec des poètes comme LASOS d’HERMIONE, SIMONIDE de CEOS, PINDARE ou BACCHYLIDE. Et, comme je l’ai mentionné, il s’agissait d’une discipline collective exécutée par un chœur dont les participants, les choreutes répondaient par des chants et des danses aux déclamations du coryphée.
En 530, l’athénien THESPIS a l’idée de remplacer le coryphée par un acteur qui va dialoguer avec les choreutes et donne ainsi naissance à l’art théâtral.
Mais c’est ESCHYLE, qui en faisant évoluer les conditions matérielles des intervenants et la technique théâtrale, peut être considéré comme le Père de la Tragédie Grecque.
Il naît à Eleusis en 525 av. JC et mourra en 456 av. JC en Sicile.
Au plan technique, il se montre encore plus audacieux que ses prédécesseurs en ajoutant un, puis deux nouveaux acteurs à l’acteur unique qui jusque là répondait au chœur ; et comme l’acteur jouait successivement plusieurs rôles, par ce procédé, ESCHYLE peut introduire dans ses pièces la variété et le mouvement qui vont profondément différencier le genre de l’épopée et du dithyrambe. Il convient de signaler que les acteurs sont exclusivement des hommes (même pour interpréter les rôles féminins).
Par ailleurs, HORACE, dans l’Art Poétique, lui attribue l’invention du masque (qui fait office de porte-voix), du cothurne, de la robe traînante et l’installation de la scène sur des tréteaux.
A ce propos, à l’origine il n’existe pas de lieu scénique privilégié. Mais, il semble que les premiers édifices en bois voient le jour sur la base des enclos circulaires propres aux rites funéraires. Les ensembles permanents, construits en pierre à flanc de colline et pouvant accueillir parfois plusieurs milliers de spectateurs, apparaissent au V° siècle. Au milieu, l’orkhéstra d’abord circulaire, puis semi-circulaire n’accueille que le chœur et ses évolutions (à la période classique, il accueillera également les acteurs) ; face au public, la skênê est un bâtiment qui abrite acteurs et machinistes, son mur frontal reçoit les décors. Devant la skênê, le proskênion est l’espace où à l’origine évoluent les acteurs et qui sera ultérieurement rattaché à l’orkhéstra pour ne former qu’un seul ensemble.
Au plan scénique, la confrontation des acteurs et des choreutes intervenant successivement, va entraîner une codification marquée du déroulement de l’action.
Le chœur chante la parodos (au début), les stasima (dans l’intervalle des actes), et l’exodos (à la fin).
La pièce proprement dite (interprétée par les acteurs) est dite dialogue et comprend le prologos (prologue avant la parodos) et les épisodes (correspondant à nos actes).
Le rôle du chœur apparaît comme primordial dans l’évolution du théâtre tragique grec vers son expression la plus moderne avec EURIPIDE. Au départ, et compte tenu de ses antécédents dithyrambiques, le chœur a un rôle moteur dans l’action, il tient la place d’un personnage collectif, et représentera ordinairement le bon sens et l’humanité. NIETZSCHE s’est d’ailleurs demandé à son sujet s’il ne s’agirait pas du « spectateur idéal » soit en tant que symbole du peuple en face de la classe princière à laquelle la scène était réservée, soit en tant que représentation d’un public particulièrement moderne et conscient d’être confronté à une œuvre artistique. Et ayant répondu dans les deux cas par la négative pour des raisons évidentes de lecture anachronique de l’Histoire, le philosophe, a fait sienne la thèse de SCHILLER, qui considérait le chœur antique « comme un rempart vivant dont s’entoure la tragédie, afin de se séparer du monde réel et de sauvegarder son domaine idéal et sa liberté poétique ».
Sur la vie et l’œuvre d’ESCHYLE, nous savons qu’il est le fils d’EUPHORION, de la caste des Eupatrides, et le frère de CYNEGIRE, célèbre pour sa prouesse contre les perses à la bataille de Marathon.
On sait qu’il a également combattu à Marathon (-490) et à Salamine (-480) ainsi qu’à Platée.
SUIDAS place son début au théâtre vers -500 (avant le début des guerres médiques). En -472, il atteint le premier rang avec Les Perses.
-467 : Tétralogie thébaine, dont faisaient partie Les Sept contre Thèbes.
-458 : L’Orestie, trilogie (Agamemnon, Les Choéphores et les Euménides) complétée par un drame satyrique : Protée.
Les Suppliantes (considérée comme l’œuvre la plus ancienne) et le Prométhée enchaîné (entre les Sept et l’Orestie) sont les deux autres pièces qui nous restent mais dont on peut donner la date avec exactitude.
Mais au total, ESCHYLE aurait fait représenter entre 70 et 90 tragédies et au moins 5 œuvres satyriques.
La tragédie d’ESCHYLE est, aux termes d’ARISTOTE une tragédie simple (par opposition à la tragédie implexe), en ceci qu’elle repose sur un fait unique, entier, d’une certaine étendue ; toutefois elle se borne à peindre les sentiments qui en résultent soit chez le chœur, soit chez les personnages en scène. Il n’y a pas à proprement parler d’action, ni d’intrigue, et tout l’intérêt vient de la peinture des sentiments et de la gradation qu’y apportent successivement l’arrivée d’un messager ou d’un acteur.
Les personnages ne sont pas seulement intéressants par eux-mêmes, mais aussi parce qu’on sent derrière eux une divinité redoutable et mystérieuse qui les pousse et règne à la fois sur les hommes et sur les dieux : la Fatalité. La Fatalité poursuit les coupables de père en fils, qui venge le crime par le crime, qui ruine les maisons royales et jalouse parfois l’homme en lui faisant expier sa prospérité.
Quoiqu’il en soit dans le profond sentiment religieux dont ESCHYLE est animé, on trouve le sentiment de justice. Tandis que sous le règne de Cronos, c’est le destin capricieux qui règle le monde, l’avènement de ZEUS et des dieux nouveaux y substitue une justice intelligente. C’est cette justice qui donne au théâtre d’ESCHYLE sa haute valeur morale. L’auteur a observé que cette justice se déplace dès qu’on en abuse. Celui qui, pour venger un crime, dépasse son droit, mérite à son tour d’être puni. Il en résulte pour l’homme une règle de vie dont il ne doit pas s’écarter s’il veut être heureux : c’est la modération en toutes choses.
jeudi 4 mars 2010
Méthodologie - "Le Héron" - Jean de la Fontaine
LE HÉRON
Jean de la Fontaine
La première phrase composée des deux premiers vers dresse le portrait du principal protagoniste (en l’occurrence le héron) de la fable, tout en relevant, dès l’abord, l’idée d’une hésitation dans tous ses mouvements.
Plus que d’une description fouillée, il s’agit d’une épure à larges traits susceptible avec un minimum de mots de permettre une visualisation d’ensemble de l’oiseau, tout en donnant à la scène un ton humoristique. Il s’agit presque d’une caricature accentuée par la répétition oratoire du qualificatif long (longs pieds, long bec, long cou). On notera, par ailleurs l’adjonction d’attributs physiques anthropomorphes (ici des pieds pour des pattes), technique fréquemment utilisée par le fabuliste pour mieux doter ses sujets animaux d’attitudes et de sentiments humains - renforcée ici par l’utilisation dans son nom d’une majuscule initiale.
L’idée d’une hésitation transparaît tout d’abord dans la rythmique des deux premiers vers, constitués d’alexandrins à rimes plates, mais dont les césures sont rien moins qu’académiques. En effet, les accents de pause du premier vers restent pairs mais portent sur les 2°, 6°, 8° et 12° syllabes ; le deuxième vers est quant à lui cadencé par un rythme ternaire (3/3/3/3). L’hésitation est renforcée par l’utilisation des déictiques : « un jour » et « je ne sais où », qui au lieu d’apporter les précisions qu’on pourrait en attendre introduisent au contraire des incertitudes tant au plan temporel qu’au plan spatial.
Il convient de relever dans le « je ne sais où », l’introduction discrète du narrateur dans son récit, aux fins d’en accentuer la vraisemblance et les caractéristiques humaines.
L’image qui se dégage des deux premiers vers est bien la transposition à connotation humoristique de la démarche mal assurée d’un oiseau de taille démesurée.
Le troisième vers, constitué d’une phrase, marque une nouvelle pause syntaxique, et s’il conserve les principales caractéristiques des deux premiers vers, il amorce un changement de rythme dans le récit.
L’idée principale reste celle d’un déplacement du principal acteur de la scène, marqué par la poursuite de l’utilisation d’un verbe de mouvement, dans le cadre général d’une narration avec l’emploi de l’imparfait de l’indicatif. En tout état de cause, le cadre spatial se précise avec l’apparition d’un cours d’eau.
L’amorce du changement de rythme est quant à elle marquée par le passage de l’alexandrin à l’octosyllabe, introduisant un groupe de quatre vers (1 octosyllabe/2 alexandrins/1 octosyllabe) à rimes embrassées (abba).
Le vers 4 est à rapprocher du précédent dans la mesure où, comme lui, il constitue une pause syntaxique.
La poursuite de l’utilisation de l’imparfait de l’indicatif permet un passage de la narration à la description d’un paysage, tout en accentuant le lyrisme poétique de cette peinture.
Mais, par delà l’art poétique, le vers 4 a pour but de préciser certains des caractères du cadre spatial posé au vers précédent (onde synecdoque en reprise de rivière), en apportant une information nouvelle sur le cadre temporel - jusqu’ici laissé dans le vague avec le « un jour » du premier vers – avec « ainsi qu’aux beaux jours » (laissant à penser par opposition que la scène se déroule au cours d’une mauvaise saison).
Les vers 5 et 6 (constitués respectivement d’un alexandrin et d’un octosyllabe) marquent une pause syntaxique non entrecoupée ; Ils présentent deux nouveaux protagonistes de la scène évoluant dans le cadre spatial défini aux deux vers précédents.
Le narrateur joue à nouveau de l’anthropomorphisme pour définir ses personnages, qu’il affuble de surnoms familiers donnés à l’époque de La Fontaine aux habitants de la campagne et aux artisans (commère et compère). De la même manière que pour le Héron, la personnalisation est confortée par l’ajout au nom de l’animal d’une majuscule initiale.
La narration se poursuit sur le mode du mouvement (« y faisait mille tours ») accentuée par l’absence de pause entre les deux vers, les rimes seules étant garantes de leur longueur respective.
On notera, pour la seconde fois, l’intervention du narrateur dans son récit, aux mêmes fins qu’au vers 1, avec l’utilisation de « ma » (pour « ma commère »).
Avec les vers 7 et 8, le récit amorce un nouveau changement de rythme, où tout en mettant en présence ses trois personnages, le fabuliste opte pour le type argumentatif propre au genre de son récit.
Au plan de la rythmique, les vers 7 et 8 appartiennent également à un groupe de quatre, dont la longueur, cette fois, varie deux à deux (2 alexandrins suivis de 2 octosyllabes), mais à la disposition identique à celle des vers 3 à 6 (rimes embrassées).
L’hésitation, caractéristique du héron dès le début du texte, se retrouve au vers 7 avec l’emploi du conditionnel (passé 2°forme : « eût fait »).
L’action, quant à elle, se recentre sur le protagoniste principal qui devient le « héros » en gardant son statut quasi-humain (il demeure nommé, dans les mêmes conditions que pour sa présentation) alors que les deux poissons sont parallèlement dévalorisés. Cette dévalorisation se concrétise par leur « retour » à une forme d’anonymat (à l’inverse du Héron, ils ne sont plus nommés, mais désignés par de simples locutions : « en » de « en eût fait » et « tous » de « tous approchaient ») et par leur requalification en simple marchandise avec l’emploi en fin de vers de termes ressortant du champ lexical de l’appropriation (« profit » et « prendre » - encore s’agit-il en l’occurrence d’une appropriation facile, les deux termes étant renforcés respectivement par l’adverbe « aisément » et la négation exceptive ne que de « n’avait qu’à ».
Enfin le mode argumentatif se concrétise au plan de la ponctuation, avec l’utilisation des deux points, caractéristiques d’une démonstration effectuée.
Les vers 9, 10 et 11 forment à leur tour un ensemble, marqué à la fin du vers 11 par une pause syntaxique. Le ton demeure argumentatif, mais on observe une nouvelle rupture du rythme, cette fois entre l’action et les habitudes du héron.
L’auteur poursuit dans une totale liberté poétique au plan de la forme, en assemblant dans cet ensemble trois vers de longueurs différentes (deux octosyllabes et un alexandrin). Il convient également de relever la facture rigoureusement classique du troisième vers composé de deux hémistiches de six syllabes, corollaire au classicisme affiché par le héron dans ses habitudes.
Le ton garde un caractère argumentatif, qui se manifeste par un nouvel emploi des deux points, au plan de la ponctuation (vers 10), le fabuliste expliquant ensuite les raisons du non passage à l’acte du héron.
Les temps des verbes sont également significatifs d’une rupture entre l’action (ou plutôt ici l’abstention) et son explication. Tout d’abord, sont employés des temps marquant la rapidité d’une action (passé simple de l’indicatif, puis plus-que-parfait du subjonctif), ensuite viennent deux verbes à l’imparfait marquant la durée (ou en l’occurrence l’habitude). A ce sujet, l’emploi de termes ou d’expressions caractéristiques du champ lexical relevant de l’hygiène alimentaire (« régime » et « mangeait à ses heures » au vers 11) a pour effet de transformer humoristiquement une hésitation en habitude, voire en stricte hygiène de vie.
Jean de la Fontaine
La première phrase composée des deux premiers vers dresse le portrait du principal protagoniste (en l’occurrence le héron) de la fable, tout en relevant, dès l’abord, l’idée d’une hésitation dans tous ses mouvements.
Plus que d’une description fouillée, il s’agit d’une épure à larges traits susceptible avec un minimum de mots de permettre une visualisation d’ensemble de l’oiseau, tout en donnant à la scène un ton humoristique. Il s’agit presque d’une caricature accentuée par la répétition oratoire du qualificatif long (longs pieds, long bec, long cou). On notera, par ailleurs l’adjonction d’attributs physiques anthropomorphes (ici des pieds pour des pattes), technique fréquemment utilisée par le fabuliste pour mieux doter ses sujets animaux d’attitudes et de sentiments humains - renforcée ici par l’utilisation dans son nom d’une majuscule initiale.
L’idée d’une hésitation transparaît tout d’abord dans la rythmique des deux premiers vers, constitués d’alexandrins à rimes plates, mais dont les césures sont rien moins qu’académiques. En effet, les accents de pause du premier vers restent pairs mais portent sur les 2°, 6°, 8° et 12° syllabes ; le deuxième vers est quant à lui cadencé par un rythme ternaire (3/3/3/3). L’hésitation est renforcée par l’utilisation des déictiques : « un jour » et « je ne sais où », qui au lieu d’apporter les précisions qu’on pourrait en attendre introduisent au contraire des incertitudes tant au plan temporel qu’au plan spatial.
Il convient de relever dans le « je ne sais où », l’introduction discrète du narrateur dans son récit, aux fins d’en accentuer la vraisemblance et les caractéristiques humaines.
L’image qui se dégage des deux premiers vers est bien la transposition à connotation humoristique de la démarche mal assurée d’un oiseau de taille démesurée.
Le troisième vers, constitué d’une phrase, marque une nouvelle pause syntaxique, et s’il conserve les principales caractéristiques des deux premiers vers, il amorce un changement de rythme dans le récit.
L’idée principale reste celle d’un déplacement du principal acteur de la scène, marqué par la poursuite de l’utilisation d’un verbe de mouvement, dans le cadre général d’une narration avec l’emploi de l’imparfait de l’indicatif. En tout état de cause, le cadre spatial se précise avec l’apparition d’un cours d’eau.
L’amorce du changement de rythme est quant à elle marquée par le passage de l’alexandrin à l’octosyllabe, introduisant un groupe de quatre vers (1 octosyllabe/2 alexandrins/1 octosyllabe) à rimes embrassées (abba).
Le vers 4 est à rapprocher du précédent dans la mesure où, comme lui, il constitue une pause syntaxique.
La poursuite de l’utilisation de l’imparfait de l’indicatif permet un passage de la narration à la description d’un paysage, tout en accentuant le lyrisme poétique de cette peinture.
Mais, par delà l’art poétique, le vers 4 a pour but de préciser certains des caractères du cadre spatial posé au vers précédent (onde synecdoque en reprise de rivière), en apportant une information nouvelle sur le cadre temporel - jusqu’ici laissé dans le vague avec le « un jour » du premier vers – avec « ainsi qu’aux beaux jours » (laissant à penser par opposition que la scène se déroule au cours d’une mauvaise saison).
Les vers 5 et 6 (constitués respectivement d’un alexandrin et d’un octosyllabe) marquent une pause syntaxique non entrecoupée ; Ils présentent deux nouveaux protagonistes de la scène évoluant dans le cadre spatial défini aux deux vers précédents.
Le narrateur joue à nouveau de l’anthropomorphisme pour définir ses personnages, qu’il affuble de surnoms familiers donnés à l’époque de La Fontaine aux habitants de la campagne et aux artisans (commère et compère). De la même manière que pour le Héron, la personnalisation est confortée par l’ajout au nom de l’animal d’une majuscule initiale.
La narration se poursuit sur le mode du mouvement (« y faisait mille tours ») accentuée par l’absence de pause entre les deux vers, les rimes seules étant garantes de leur longueur respective.
On notera, pour la seconde fois, l’intervention du narrateur dans son récit, aux mêmes fins qu’au vers 1, avec l’utilisation de « ma » (pour « ma commère »).
Avec les vers 7 et 8, le récit amorce un nouveau changement de rythme, où tout en mettant en présence ses trois personnages, le fabuliste opte pour le type argumentatif propre au genre de son récit.
Au plan de la rythmique, les vers 7 et 8 appartiennent également à un groupe de quatre, dont la longueur, cette fois, varie deux à deux (2 alexandrins suivis de 2 octosyllabes), mais à la disposition identique à celle des vers 3 à 6 (rimes embrassées).
L’hésitation, caractéristique du héron dès le début du texte, se retrouve au vers 7 avec l’emploi du conditionnel (passé 2°forme : « eût fait »).
L’action, quant à elle, se recentre sur le protagoniste principal qui devient le « héros » en gardant son statut quasi-humain (il demeure nommé, dans les mêmes conditions que pour sa présentation) alors que les deux poissons sont parallèlement dévalorisés. Cette dévalorisation se concrétise par leur « retour » à une forme d’anonymat (à l’inverse du Héron, ils ne sont plus nommés, mais désignés par de simples locutions : « en » de « en eût fait » et « tous » de « tous approchaient ») et par leur requalification en simple marchandise avec l’emploi en fin de vers de termes ressortant du champ lexical de l’appropriation (« profit » et « prendre » - encore s’agit-il en l’occurrence d’une appropriation facile, les deux termes étant renforcés respectivement par l’adverbe « aisément » et la négation exceptive ne que de « n’avait qu’à ».
Enfin le mode argumentatif se concrétise au plan de la ponctuation, avec l’utilisation des deux points, caractéristiques d’une démonstration effectuée.
Les vers 9, 10 et 11 forment à leur tour un ensemble, marqué à la fin du vers 11 par une pause syntaxique. Le ton demeure argumentatif, mais on observe une nouvelle rupture du rythme, cette fois entre l’action et les habitudes du héron.
L’auteur poursuit dans une totale liberté poétique au plan de la forme, en assemblant dans cet ensemble trois vers de longueurs différentes (deux octosyllabes et un alexandrin). Il convient également de relever la facture rigoureusement classique du troisième vers composé de deux hémistiches de six syllabes, corollaire au classicisme affiché par le héron dans ses habitudes.
Le ton garde un caractère argumentatif, qui se manifeste par un nouvel emploi des deux points, au plan de la ponctuation (vers 10), le fabuliste expliquant ensuite les raisons du non passage à l’acte du héron.
Les temps des verbes sont également significatifs d’une rupture entre l’action (ou plutôt ici l’abstention) et son explication. Tout d’abord, sont employés des temps marquant la rapidité d’une action (passé simple de l’indicatif, puis plus-que-parfait du subjonctif), ensuite viennent deux verbes à l’imparfait marquant la durée (ou en l’occurrence l’habitude). A ce sujet, l’emploi de termes ou d’expressions caractéristiques du champ lexical relevant de l’hygiène alimentaire (« régime » et « mangeait à ses heures » au vers 11) a pour effet de transformer humoristiquement une hésitation en habitude, voire en stricte hygiène de vie.
mercredi 3 mars 2010
HOMERE - "l'Iliade" - Exposé : Lamentations sur le corps d’Hector.
Nous allons donc étudier le chant XXIV de l’Iliade, chant dans lequel les femmes se lamentent sur le corps d’Hector. On peut remarquer que c’est le dernier chant de l’oeuvre et que par conséquent l’Iliade ne s’achève pas par la fin de la guerre, mais par la fin du dernier héros guerrier de Troie. C’est une scène de palais (en opposition aux scènes de batailles) dans laquelle trois femmes vont se succéder pour pleurer sur la dépouille d’Hector qui constitue leur seul point commun. Cette scène de palais est à rapprocher du chant VI qui lui aussi est une scène de palais dans laquelle les trois mêmes femmes s’adressent à Hector, mais de son vivant. Nous avons décidé d’étudier ces trois femmes, c'est-à-dire : Hécube, Hélène et Andromaque, mais aussi, à travers elle, la figure d’Hector. Nous nous sommes également demandés si ces trois femmes soient des héroïnes.
Hécube incarne une figure de la paix dans son rôle de mère par excellence, celle dont le fils préféré (sur les dix-neuf qu’elle a donnés à Priam) vient d’être tué et qui vient de procéder à sa toilette avant la crémation rituelle. Sa haine pour l’assassin ne lui fait pas perdre la mesure, ni la piété religieuse dont elle fait montre tout au long du Poème.
Mère d’Hector, elle apparaît aussi comme la mère des troyens, par son sens de l’intérêt commun et son obéissance aux lois humaines et divines. D’ailleurs, dans le portrait d’Hector qu’elle contribue à tracer, elle fait ressortir la piété religieuse et le sens du devoir.
Lors des adieux d’Hector, au Chant VI les paroles d’Hécube sont empreintes de dévotion aux dieux et d’amour maternel : « Reste là, je te vais apporter un doux vin, tu en feras d’abord libation à Zeus et aux autres dieux ; tu trouveras après toi-même profit à en boire », ce à quoi Hector répond en faisant de sa mère sa représentante auprès des dieux et en manifestant une aussi grande dévotion qu’elle par sa connaissance des usages rituels, en lui répondant : « il n’est jamais permis d’adresser des prières au Cronide à la nuée noire, quand on est souillé de sang et de boue ».
Le Chant XXIV apparaît en tous points comme la confirmation des sentiments relevés au Chant VI, la préférence d’Hécube pour Hector, « toi de tous mes enfants le plus cher » ; sa constance religieuse, malgré la mort du héros et la confirmation de son rôle d’intermédiaire auprès des dieux, « tu étais chéri des dieux, même venue la mort fatale, ils s’inquiètent encore de toi ».
Sa dévotion l’empêche d’ailleurs de voir dans la mort d’Hector l’accomplissement d’un plan divin, elle exonère l’Olympe de toute implication directe, préférant y voir l’acte de forces qui leur sont supérieures, en l’occurrence le Destin (Chant XXII) ou la Fatalité.
Et toujours en écho au Chant VI, dans les pleurs d’Hécube, Hector a enfin trouvé le repos, loin du fracas des armes, « et te voilà, là aujourd’hui, étendu dans ta maison, le teint frais… »
L’héroïsme d’Hécube tient essentiellement au rôle dans lequel elle se maintient, de maîtresse de la sphère privée du Palais, et de la famille royale, toute à sa fidélité et à son obéissance à la norme sociale qui place la femme en état d’infériorité de fait par rapport à l’homme et au guerrier.
Et, si elle voue une haine féroce à ces « fils des Achéens au nom abhorré » (Chant VI) et tout particulièrement à celui qui lui a pris son fils et dont au début du Chant XXIV (vers 201-202) elle voudrait « [dévorer] le foie en y mordant à belles dents »elle n’approche la démesure qu’en paroles !
Tout le reste de ses actes s’inscrit dans la mesure, et à aucun moment, elle ne parait mettre en doute la validité de la Guerre. Ses conseils sont ceux d’une modératrice. Ils sont inspirés par la prudence lorsqu’elle cherche à dissuader Hector d’affronter directement Achille, mais ils ne recèlent jamais de lâcheté : « si tu veux repousser ce guerrier ennemi, fais-le donc de derrière nos murs » (Chant XXII). De même, c’est son dévouement à Troie et au dernier rempart que représente Priam qui la pousse à lui déconseiller d’aller réclamer le corps d’Hector à Achille – au mépris des usages en vigueur auxquels elle est, par ailleurs, si attentive. Pour elle, c’est encore le Destin qui a décidé de laisser le cadavre sans sépulture…
Tout ou presque donc n’est que mesure chez Hécube. Ce sont les successeurs d’Homère qui la feront entrer de plein pied dans la démesure, Euripide notamment qui la poussera aux pires excès de la vengeance, en l’affectant à des rôles de mère meurtrie par la mort de ses enfants. Le mythe va jusqu’à la métamorphoser en chienne, enragée d’avoir voulu venger le plus jeune de ses fils : Polydore, assassiné par le Roi de Thrace, Polymnestor à qui il avait été confié par Priam.
Une autre légende enfin décrit Hécube quittant captive Troie, après avoir pris soin d’avaler les cendres d’Hector - de crainte qu’elles ne soient profanées par les Achéens. Cet acte en fait non seulement la Prêtresse mais la mémoire vive du Héros mort puisqu’elle accepte d’en devenir la sépulture, après en avoir été le berceau.
Hélène au départ est la fille de Zeus et de Léda. Elle est jumelle de Pollux et également sœur de Castor et de Clytemnestre, tous deux fils de Tyndare (époux légitime de Léda).
Elle n’est pas Troyenne à proprement parler puisqu’elle est à la base l’épouse de Ménélas, que Tyndare avait choisit pour elle. Il avait fait jurer aux autres prétendants de tous se réunir derrière celui qu’il aurait choisit, contre quiconque voudrait la lui disputer. (Ce qui est sûrement la cause du grand nombre de grecs participants à la guerre de Troie.) Donc pendant une absence de Ménélas, le Troyen Pâris, fils de Priam, se fait aimer d’Hélène et l’enlève. Ce qui attire sur sa patrie une longue et sanglante guerre. Ainsi Hélène n’est pas très appréciée des Troyens hormis d’Hector et de Priam.
Donc, Hélène s’adresse à Hector de son vivant et après sa mort, au chant VI et au chant XXIV. Ces deux discours peuvent être mis en parallèle.
On peut remarquer, dans le chant XXIV, qu’Hélène éprouve beaucoup d’affection pour son beau-frère. Elle lui dit qu’il est, de tous ses beaux-frères, son préféré. Et cela tient du fait qu’il est l’un des seuls Troyens à ne pas l’avoir blâmée ou jalousée.
Dans ces deux discours on peut voir qu’elle s’en veut d’être à l’origine de la guerre et regrette de ne pas être morte avant que Pâris ne l’enlève.
Elle dresse un portrait très flatteur d’Hector. Dans le chant VI, elle voit en lui le guerrier qu’elle aurait aimé épouser. Elle met Hector sur un piédestal, au niveau guerrier, tout en rabaissant Pâris.
Elle voue un culte au guerrier qu’incarne Hector de son vivant. Par contre, dans le chant XXIV, elle voue un culte à la générosité et à la gentillesse du héros.
On peut donc croire que, bien qu’il ait beaucoup compté pour elle, elle pleure plus sur elle-même et sur la perte de son seul protecteur à Troie.
En effet contrairement à Hécube, elle reste tout de même très axée sur elle-même et sur son sort. Elle peut apparaître par certains points comme égoïste.
Malgré tout cela on peut reconnaître dans Hélène une figure du héros ; mais aussi de l’aède, puisqu’elle est la seule à annoncer à Hector (au chant VI) qu’ils seront chantés après leur mort : « Zeus nous a fait un dur destin, afin que nous soyons plus tard chantés des hommes à venir.»
Donc figure du héros : tout d’abord au sens d’Hésiode, puisque Hélène est la fille d’un dieu et d’une humaine.
On peut également distinguer en elle la démesure. En effet elle est la figure de l’amour extraconjugal : puisqu’elle était épouse de Ménélas et est devenue l’épouse de Pâris. Et on peut remarquer, au chant VI, dans les paroles qu’elle adresse à Hector, qu’elle semble ressentir plus que de l’amour fraternel et de la reconnaissance pour lui : « Pourquoi du moins n’ai-je donc pas été la femme d’un brave capable de sentir la révolte, les affronts répétés des hommes ? » On peut reconnaître Hector dans ce brave qu’elle aurait voulu épouser et non pas Pâris qui est un pleutre.
Elle est un parfait exemple de l’amante, et le fait qu’elle n’ait pas d’enfants ne l’inscrit pas dans la mesure au même titre qu’Hécube ou Andromaque.
Mais bien qu’elle soit le symbole même de la démesure en étant la cause de la guerre, elle fait tout de même preuve de mesure. Tout d’abord dans sa fidélité à Troie et à Pâris (elle aurait pu tenter d’user de ses charmes pour séduire Hector). Mais aussi dans l’acceptation de son sort : d’épouse contrainte, de femme rejetée et de captive.
Pour tous ces points : donc le fait qu’elle descende de Zeus, le courage, la mesure et la démesure dont elle fait preuve (tout en gardant son statut de femme) Hélène peut être considérée comme une héroïne.
Andromaque, comme Hécube sa belle-mère, apparaît a priori comme une figure de la paix, elle est dévolue à la maison de son époux et à l’éducation d’Astyanax leur fils - des prérogatives auxquelles Hector ne manque pas de la renvoyer à la fin du Chant VI : « il dit et met son fils dans les bras de sa femme », ou encore « Allons ! Rentre au logis, songe à tes travaux, au métier, à la quenouille et donne ordre à tes servantes de vaquer à leur ouvrage ».
Pourtant, elle n’évolue et n’agit qu’au travers de la guerre. Mais, toutes ses tentatives d’influencer les combats, tous ses conseils stratégiques sont voués à l’échec par l’ordre naturel des choses : parce qu’elle est une femme et qu’elle n’est pas troyenne. Toujours au Chant VI, Hector le lui rappelle d’ailleurs lorsqu’il déclare : « au combat veilleront les hommes, tous ceux – et moi le premier – qui sont nés à Ilion ».
Tout en Andromaque donc ne devrait être que mesure, pourtant derrière la réplique d’Hector, on commence à transparaître sa part de démesure.
En effet, avant même d’être épouse et mère, Andromaque est une figure de l’exil. On apprend tout d’abord qu’elle est orpheline et qu’elle a perdu la totalité de sa fratrie à cause d’Achille. De fait, son mariage a constitué un premier exil, sans espoir de retour au Royaume de ses défunts parents. Et, la fin d’Hector, elle la pressent dès le départ de son époux au combat et elle la voit au Chant XXIV : comme un nouvel exil annoncé, assorti cette fois de servitude, par un nouveau coup d’Achille. La mort d’Hector la conforte dans la prescience de son destin de butin de guerre d’un des achéens vainqueurs, et sa crainte d’échoir en part d’honneur à celui qui lui a ravi ceux qu’elle aimait le plus.
Autre aspect de la démesure, Andromaque incarne également une figure du deuil – un deuil qu’elle porte en elle dès le Chant VI, mais qu’on retrouve au Chant XXII et bien sûr qu’elle transcende au Chant XXIV. C’est une véritable isotopie du chagrin dont le poète parsème le parcours d’Andromaque. Celle-ci est tour à tour pleurante, ou « avec un rire en pleurs », ou « versant de grosses larmes », devant le spectacle d’Hector traîné devant Troie « une nuit sombre enveloppe ses yeux », elle lance « pleurante » le chœur de ses esclaves qui « lui répondent par des sanglots ». Et, sur le corps d’Hector elle n’est plus que larmes sur son époux, sur son propre destin et sur celui de ce fils qu’Hector lui a donné et dont le sort néfaste parait scellé.
En Hector, elle pleure celui en qui elle a tout aimé à l’exception du guerrier qu’il est devenu par devoir pour Troie et par piété filiale. Mais, dans sa démesure, à l’inverse d’Hécube, elle n’en veut pas seulement à l’assassin de son époux, elle met en cause la Guerre en tant que seule responsable de son malheur.
Andromaque pleure aussi sur le sort de son fils, Astyanax - symbole par son nom seul (maître des remparts) des conseils de prudence qu’Hector n’a pas suivis, ce qui lui a coûté la vie. Ce fils dont Hector au faîte de sa gloire rêvait qu’il soit plus vaillant que lui, qu’il règne souverain sur Ilion et dont l’avenir à ce moment se résume à une alternative : au mieux finir captif occupé « à vaquer à des corvées serviles », au pire, sous la loi de cette vendetta qu’est en fait la Guerre de Troie, « précipité du haut des remparts par quelque Achéen, en haine d’Hector qui lui aura pris un frère, un père, un fils ».
Au-delà de son deuil enfin, Andromaque devient le symbole de la fidélité, et dans cette voie c’est Hector qui lui a donné la marche à suivre : « Un jour on dira en te voyant pleurer, c’est la femme d’Hector, Hector le premier au combat parmi les troyens dompteurs de cavales, quand on se battait autour d’Ilion » (Chant VI). Fidélité par delà la mort, la captivité et l’exil - qu’on retrouvera d’abord dans les vers de Virgile puis sous la plume de Racine :
« Ma flamme par Hector fut jadis allumée ;
Avec lui dans la tombe elle s’est refermée. »
Et, le mythe la montre en Epire, captive de Néoptolème-Pyrrhus, fils de celui à qui elle doit son malheur, faisant élever un monument à la mémoire d’Hector et dont elle perpétue le culte malgré ses remariages forcés.
Donc nous avons découvert le portrait des trois femmes les plus importantes de l’Iliade. Et nous venons de voir qu’on peut les classer toutes trois dans la catégorie des héroïnes, bien qu’elles gardent leur statut de femme ; donc ne prenant pas part à la guerre, et la subissant tout de même. Mais, à travers elles, c’est essentiellement la personnalité d’Hector qui transparaît, Hector le guerrier, puis Hector le héros mort. En effet, les funérailles d’Hector marquent la fin du dernier chant, qui lui-même marque la fin de l’Iliade. Le fait qu’Hector ait droit à des funérailles dans les règles est une façon de rendre possible le culte du héros mort. Mais Homère rend également possible à travers les trois femmes qui pleurent sur le corps d’Hector le culte du héros humain, dans les deux sens du terme.
Hécube incarne une figure de la paix dans son rôle de mère par excellence, celle dont le fils préféré (sur les dix-neuf qu’elle a donnés à Priam) vient d’être tué et qui vient de procéder à sa toilette avant la crémation rituelle. Sa haine pour l’assassin ne lui fait pas perdre la mesure, ni la piété religieuse dont elle fait montre tout au long du Poème.
Mère d’Hector, elle apparaît aussi comme la mère des troyens, par son sens de l’intérêt commun et son obéissance aux lois humaines et divines. D’ailleurs, dans le portrait d’Hector qu’elle contribue à tracer, elle fait ressortir la piété religieuse et le sens du devoir.
Lors des adieux d’Hector, au Chant VI les paroles d’Hécube sont empreintes de dévotion aux dieux et d’amour maternel : « Reste là, je te vais apporter un doux vin, tu en feras d’abord libation à Zeus et aux autres dieux ; tu trouveras après toi-même profit à en boire », ce à quoi Hector répond en faisant de sa mère sa représentante auprès des dieux et en manifestant une aussi grande dévotion qu’elle par sa connaissance des usages rituels, en lui répondant : « il n’est jamais permis d’adresser des prières au Cronide à la nuée noire, quand on est souillé de sang et de boue ».
Le Chant XXIV apparaît en tous points comme la confirmation des sentiments relevés au Chant VI, la préférence d’Hécube pour Hector, « toi de tous mes enfants le plus cher » ; sa constance religieuse, malgré la mort du héros et la confirmation de son rôle d’intermédiaire auprès des dieux, « tu étais chéri des dieux, même venue la mort fatale, ils s’inquiètent encore de toi ».
Sa dévotion l’empêche d’ailleurs de voir dans la mort d’Hector l’accomplissement d’un plan divin, elle exonère l’Olympe de toute implication directe, préférant y voir l’acte de forces qui leur sont supérieures, en l’occurrence le Destin (Chant XXII) ou la Fatalité.
Et toujours en écho au Chant VI, dans les pleurs d’Hécube, Hector a enfin trouvé le repos, loin du fracas des armes, « et te voilà, là aujourd’hui, étendu dans ta maison, le teint frais… »
L’héroïsme d’Hécube tient essentiellement au rôle dans lequel elle se maintient, de maîtresse de la sphère privée du Palais, et de la famille royale, toute à sa fidélité et à son obéissance à la norme sociale qui place la femme en état d’infériorité de fait par rapport à l’homme et au guerrier.
Et, si elle voue une haine féroce à ces « fils des Achéens au nom abhorré » (Chant VI) et tout particulièrement à celui qui lui a pris son fils et dont au début du Chant XXIV (vers 201-202) elle voudrait « [dévorer] le foie en y mordant à belles dents »elle n’approche la démesure qu’en paroles !
Tout le reste de ses actes s’inscrit dans la mesure, et à aucun moment, elle ne parait mettre en doute la validité de la Guerre. Ses conseils sont ceux d’une modératrice. Ils sont inspirés par la prudence lorsqu’elle cherche à dissuader Hector d’affronter directement Achille, mais ils ne recèlent jamais de lâcheté : « si tu veux repousser ce guerrier ennemi, fais-le donc de derrière nos murs » (Chant XXII). De même, c’est son dévouement à Troie et au dernier rempart que représente Priam qui la pousse à lui déconseiller d’aller réclamer le corps d’Hector à Achille – au mépris des usages en vigueur auxquels elle est, par ailleurs, si attentive. Pour elle, c’est encore le Destin qui a décidé de laisser le cadavre sans sépulture…
Tout ou presque donc n’est que mesure chez Hécube. Ce sont les successeurs d’Homère qui la feront entrer de plein pied dans la démesure, Euripide notamment qui la poussera aux pires excès de la vengeance, en l’affectant à des rôles de mère meurtrie par la mort de ses enfants. Le mythe va jusqu’à la métamorphoser en chienne, enragée d’avoir voulu venger le plus jeune de ses fils : Polydore, assassiné par le Roi de Thrace, Polymnestor à qui il avait été confié par Priam.
Une autre légende enfin décrit Hécube quittant captive Troie, après avoir pris soin d’avaler les cendres d’Hector - de crainte qu’elles ne soient profanées par les Achéens. Cet acte en fait non seulement la Prêtresse mais la mémoire vive du Héros mort puisqu’elle accepte d’en devenir la sépulture, après en avoir été le berceau.
Hélène au départ est la fille de Zeus et de Léda. Elle est jumelle de Pollux et également sœur de Castor et de Clytemnestre, tous deux fils de Tyndare (époux légitime de Léda).
Elle n’est pas Troyenne à proprement parler puisqu’elle est à la base l’épouse de Ménélas, que Tyndare avait choisit pour elle. Il avait fait jurer aux autres prétendants de tous se réunir derrière celui qu’il aurait choisit, contre quiconque voudrait la lui disputer. (Ce qui est sûrement la cause du grand nombre de grecs participants à la guerre de Troie.) Donc pendant une absence de Ménélas, le Troyen Pâris, fils de Priam, se fait aimer d’Hélène et l’enlève. Ce qui attire sur sa patrie une longue et sanglante guerre. Ainsi Hélène n’est pas très appréciée des Troyens hormis d’Hector et de Priam.
Donc, Hélène s’adresse à Hector de son vivant et après sa mort, au chant VI et au chant XXIV. Ces deux discours peuvent être mis en parallèle.
On peut remarquer, dans le chant XXIV, qu’Hélène éprouve beaucoup d’affection pour son beau-frère. Elle lui dit qu’il est, de tous ses beaux-frères, son préféré. Et cela tient du fait qu’il est l’un des seuls Troyens à ne pas l’avoir blâmée ou jalousée.
Dans ces deux discours on peut voir qu’elle s’en veut d’être à l’origine de la guerre et regrette de ne pas être morte avant que Pâris ne l’enlève.
Elle dresse un portrait très flatteur d’Hector. Dans le chant VI, elle voit en lui le guerrier qu’elle aurait aimé épouser. Elle met Hector sur un piédestal, au niveau guerrier, tout en rabaissant Pâris.
Elle voue un culte au guerrier qu’incarne Hector de son vivant. Par contre, dans le chant XXIV, elle voue un culte à la générosité et à la gentillesse du héros.
On peut donc croire que, bien qu’il ait beaucoup compté pour elle, elle pleure plus sur elle-même et sur la perte de son seul protecteur à Troie.
En effet contrairement à Hécube, elle reste tout de même très axée sur elle-même et sur son sort. Elle peut apparaître par certains points comme égoïste.
Malgré tout cela on peut reconnaître dans Hélène une figure du héros ; mais aussi de l’aède, puisqu’elle est la seule à annoncer à Hector (au chant VI) qu’ils seront chantés après leur mort : « Zeus nous a fait un dur destin, afin que nous soyons plus tard chantés des hommes à venir.»
Donc figure du héros : tout d’abord au sens d’Hésiode, puisque Hélène est la fille d’un dieu et d’une humaine.
On peut également distinguer en elle la démesure. En effet elle est la figure de l’amour extraconjugal : puisqu’elle était épouse de Ménélas et est devenue l’épouse de Pâris. Et on peut remarquer, au chant VI, dans les paroles qu’elle adresse à Hector, qu’elle semble ressentir plus que de l’amour fraternel et de la reconnaissance pour lui : « Pourquoi du moins n’ai-je donc pas été la femme d’un brave capable de sentir la révolte, les affronts répétés des hommes ? » On peut reconnaître Hector dans ce brave qu’elle aurait voulu épouser et non pas Pâris qui est un pleutre.
Elle est un parfait exemple de l’amante, et le fait qu’elle n’ait pas d’enfants ne l’inscrit pas dans la mesure au même titre qu’Hécube ou Andromaque.
Mais bien qu’elle soit le symbole même de la démesure en étant la cause de la guerre, elle fait tout de même preuve de mesure. Tout d’abord dans sa fidélité à Troie et à Pâris (elle aurait pu tenter d’user de ses charmes pour séduire Hector). Mais aussi dans l’acceptation de son sort : d’épouse contrainte, de femme rejetée et de captive.
Pour tous ces points : donc le fait qu’elle descende de Zeus, le courage, la mesure et la démesure dont elle fait preuve (tout en gardant son statut de femme) Hélène peut être considérée comme une héroïne.
Andromaque, comme Hécube sa belle-mère, apparaît a priori comme une figure de la paix, elle est dévolue à la maison de son époux et à l’éducation d’Astyanax leur fils - des prérogatives auxquelles Hector ne manque pas de la renvoyer à la fin du Chant VI : « il dit et met son fils dans les bras de sa femme », ou encore « Allons ! Rentre au logis, songe à tes travaux, au métier, à la quenouille et donne ordre à tes servantes de vaquer à leur ouvrage ».
Pourtant, elle n’évolue et n’agit qu’au travers de la guerre. Mais, toutes ses tentatives d’influencer les combats, tous ses conseils stratégiques sont voués à l’échec par l’ordre naturel des choses : parce qu’elle est une femme et qu’elle n’est pas troyenne. Toujours au Chant VI, Hector le lui rappelle d’ailleurs lorsqu’il déclare : « au combat veilleront les hommes, tous ceux – et moi le premier – qui sont nés à Ilion ».
Tout en Andromaque donc ne devrait être que mesure, pourtant derrière la réplique d’Hector, on commence à transparaître sa part de démesure.
En effet, avant même d’être épouse et mère, Andromaque est une figure de l’exil. On apprend tout d’abord qu’elle est orpheline et qu’elle a perdu la totalité de sa fratrie à cause d’Achille. De fait, son mariage a constitué un premier exil, sans espoir de retour au Royaume de ses défunts parents. Et, la fin d’Hector, elle la pressent dès le départ de son époux au combat et elle la voit au Chant XXIV : comme un nouvel exil annoncé, assorti cette fois de servitude, par un nouveau coup d’Achille. La mort d’Hector la conforte dans la prescience de son destin de butin de guerre d’un des achéens vainqueurs, et sa crainte d’échoir en part d’honneur à celui qui lui a ravi ceux qu’elle aimait le plus.
Autre aspect de la démesure, Andromaque incarne également une figure du deuil – un deuil qu’elle porte en elle dès le Chant VI, mais qu’on retrouve au Chant XXII et bien sûr qu’elle transcende au Chant XXIV. C’est une véritable isotopie du chagrin dont le poète parsème le parcours d’Andromaque. Celle-ci est tour à tour pleurante, ou « avec un rire en pleurs », ou « versant de grosses larmes », devant le spectacle d’Hector traîné devant Troie « une nuit sombre enveloppe ses yeux », elle lance « pleurante » le chœur de ses esclaves qui « lui répondent par des sanglots ». Et, sur le corps d’Hector elle n’est plus que larmes sur son époux, sur son propre destin et sur celui de ce fils qu’Hector lui a donné et dont le sort néfaste parait scellé.
En Hector, elle pleure celui en qui elle a tout aimé à l’exception du guerrier qu’il est devenu par devoir pour Troie et par piété filiale. Mais, dans sa démesure, à l’inverse d’Hécube, elle n’en veut pas seulement à l’assassin de son époux, elle met en cause la Guerre en tant que seule responsable de son malheur.
Andromaque pleure aussi sur le sort de son fils, Astyanax - symbole par son nom seul (maître des remparts) des conseils de prudence qu’Hector n’a pas suivis, ce qui lui a coûté la vie. Ce fils dont Hector au faîte de sa gloire rêvait qu’il soit plus vaillant que lui, qu’il règne souverain sur Ilion et dont l’avenir à ce moment se résume à une alternative : au mieux finir captif occupé « à vaquer à des corvées serviles », au pire, sous la loi de cette vendetta qu’est en fait la Guerre de Troie, « précipité du haut des remparts par quelque Achéen, en haine d’Hector qui lui aura pris un frère, un père, un fils ».
Au-delà de son deuil enfin, Andromaque devient le symbole de la fidélité, et dans cette voie c’est Hector qui lui a donné la marche à suivre : « Un jour on dira en te voyant pleurer, c’est la femme d’Hector, Hector le premier au combat parmi les troyens dompteurs de cavales, quand on se battait autour d’Ilion » (Chant VI). Fidélité par delà la mort, la captivité et l’exil - qu’on retrouvera d’abord dans les vers de Virgile puis sous la plume de Racine :
« Ma flamme par Hector fut jadis allumée ;
Avec lui dans la tombe elle s’est refermée. »
Et, le mythe la montre en Epire, captive de Néoptolème-Pyrrhus, fils de celui à qui elle doit son malheur, faisant élever un monument à la mémoire d’Hector et dont elle perpétue le culte malgré ses remariages forcés.
Donc nous avons découvert le portrait des trois femmes les plus importantes de l’Iliade. Et nous venons de voir qu’on peut les classer toutes trois dans la catégorie des héroïnes, bien qu’elles gardent leur statut de femme ; donc ne prenant pas part à la guerre, et la subissant tout de même. Mais, à travers elles, c’est essentiellement la personnalité d’Hector qui transparaît, Hector le guerrier, puis Hector le héros mort. En effet, les funérailles d’Hector marquent la fin du dernier chant, qui lui-même marque la fin de l’Iliade. Le fait qu’Hector ait droit à des funérailles dans les règles est une façon de rendre possible le culte du héros mort. Mais Homère rend également possible à travers les trois femmes qui pleurent sur le corps d’Hector le culte du héros humain, dans les deux sens du terme.
mardi 2 mars 2010
Exposé Alfred de Musset - Confessions d'un enfant du siècle
Alfred de MUSSET, « la confession d’un enfant du siècle ».
INTRODUCTION
En premier lieu, il apparaît nécessaire de tracer un bref portrait de l’auteur, en le replaçant dans les soubresauts de son temps.
Alfred de MUSSET naît en 1810, et ne connaîtra pratiquement pas la période napoléonienne, dans la mesure où il n’est âgé que de cinq ans lorsque l’Empereur abdique (1815) et que les Bourbons remontent sur le trône. il n’en a que onze lorsque Napoléon meurt en exil à Saint-Hélène (1821).
Il fait son entrée dans le cénacle romantique l’Arsenal en 1828, d’abord par l’entremise de Charles NODIER, son initiateur, puis sous les auspices de Victor HUGO. MUSSET n’a que dix-huit ans.
Au plan littéraire, il apparaît comme un auteur prolixe qui se frotte avec bonheur à tous les genres (poésie, roman, théâtre…). Dans sa vie privée, il est au moins autant prolixe en multipliant les aventures amoureuses, dont la plus connue et la plus tumultueuse est celle qu’il vit avec George SAND.
EN 1852, MUSSET est reconnu par l’élite littéraire de son temps et fait son entrée à quarante-deux ans à l’Académie Française. Mais, il meurt peu après en 1857, « encore jeune, mais déjà usé », diront ses hagiographes. Le second empire est alors bien installé. Il a sonné, pour un temps, le glas des espoirs que les romantiques avaient placé en lui.
Alfred de MUSSET écrit « la confession d’un enfant du siècle » - dont sont tirés les deux extraits, objets du présent exposé - en 1836, alors que Louis-Philippe est sur le trône et que la classe dominante a récupéré à son seul profit le gain des journées révolutionnaires de juillet 1830. Choisissant clairement son camp (on le verra au fil des deux extraits de texte), il y définit le « mal du siècle » dont souffre à ses yeux « la génération perdue » de ces enfants désespérés nés sous l’Empire. Et pour ce faire, il va s’appuyer sur un registre dichotomique (à l’instar de Mme de STAEL, lorsqu’elle pose les bases du romantisme) grâce auquel il promeut le monde à venir au détriment du passé, tout en utilisant quelques uns des ingrédients propres aux romantiques.
LE REVE BRISE DES ENFANTS DU SIECLE
De la même manière que dans le premier extrait, MUSSET exalte sur le ton de l’Epopée la période impériale, mais en la raccrochant cette fois nettement à la Révolution, dont elle a poursuivi l’œuvre et porté la vocation universelle. Selon lui, l’Empire n’est certainement pas un hiatus de l’histoire, mais la poursuite logique et non dissociable d’un processus entamé en 1789.
Les deux extraits contiennent des références historiques directes de l’indissociabilité des deux périodes :
• « Moscou » et « Les Pyramides » (extrait 1 - ligne 3) illustrent deux batailles, l’une au déclin de l’Empire, la deuxième marquant le début de l’ascension du jeune Bonaparte ;
• « des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution » (extrait 2 - lignes 9 et 10).
Bien que moins apparents, d’autres rappels historiques sont significatifs :
• « ils avaient rêvé pendant quinze ans… » (extrait 1 - ligne 2), l’Empire n’ayant duré que dix ans, l’auteur lui rattache bien une partie des guerres révolutionnaires (la période conventionnelle en l’occurrence) ;
• « ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes, on allait à une capitale d’Europe » (extrait 1 - lignes 3 et 4), référence aux conquêtes napoléoniennes.
LE REGISTRE DICHOTOMIQUE
L’engagement politique de l’auteur se décline également sur un mode nettement dichotomique, notamment dans son rejet de tout ce qui à l’évidence ou en filigrane ressort de l’Ancien Régime :
• « …avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme » (extrait 2 - ligne 2) est une référence claire au retour des Bourbons ;
• « ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre …tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain » (extrait 1 lignes 4, 5 et 6), de l’univers il ne restait rien, leurs villes même avaient été ravalées au rang de simples paroisses. Le monde s’est réduit comme une peau de chagrin. De fait, la restauration voit un retour aux frontières de 1789 et donc non seulement un abandon des conquêtes impériales mais également révolutionnaires.
Dans le deuxième extrait, Musset va poursuivre sur le mode comparatif, de la même manière que Mme de STAEL, mais pour opposer l’ancien régime passé et révolu qu’il réprouve au futur qu’il appelle de ses vœux :
• « derrière eux, un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines » (lignes 1 et 2) opposé à « devant eux, l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir » (lignes 2 et 3) ;
• « le vieux continent » (ligne 4) opposé à « la jeune Amérique » (ligne 4) ;
• « quelque blanche voile lointaine » (ligne 5) opposée à « quelque navire soufflant une lourde vapeur » (ligne 6) ;
• « semence » opposée à « débris » (ligne 8) ;
• « momie » opposée à « fœtus » (ligne 16).
LES INGREDIENTS ROMANTIQUES
L’auteur utilise tout au long des deux textes les pluriels qui accentuent l’idée de chant épique et sont significatifs de l’unanimité et de l’adhésion d’un peuple entier aux idéaux révolutionnaires transcendés par l’Empire. Il s’agit d’un élan collectif à la fois passionnel et fusionnel qui tient lieu de pensée ;
L’idée d’universalité de ces idéaux est non seulement géographique (jusqu’en Russie et par delà jusqu’en Orient) mais climatique (neiges et soleil) (extrait 1 -ligne 3).
Cette idée rejoint une autre constante romantique : la nature, mais dans ses aspects les moins marqués par le travail de l’homme :
• « l’Océan » (extrait 2 – ligne 4), « une mer houleuse et pleine de naufrages » (extrait 2 – lignes 4 et 5) ;
• mais aussi « la jeune Amérique » (extrait 2 – ligne 4), tant comme terre porteuse d’espoir en terme de liberté et d’égalité des chances, que comme continent vierge, terra encore largement incognita.
MUSSET évoque également le sang, mais à la différence du premier texte, il ne l’utilise pas en tant que vecteur de mort. Au contraire, il en fait une semence (« tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang qui avait inondé la terre » extrait 1 – lignes 1 et 2), un principe de vie (« ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines » extrait 2 – lignes 12 et 13), un élément liquide qu’il va opposer à la sècheresse et à la poussière des temps révolus (« fossiles » extrait 2 – ligne 2 ; « débris » extrait 2 – ligne 8 ; «sac de chaux plein d’ossements » extrait 2 – ligne 15 ; « momie » directement en concurrence avec « fœtus » extrait 2 – ligne 16.
On notera enfin la référence aux ruines dans les deux textes ; encore ne s’agit-il dans aucun des deux cas d’éléments décoratifs aptes à susciter la rêverie ou la mélancolie, mais plutôt de la symbolisation du rêve brisé (extrait - 1 ligne 1 et extrait 2 - ligne 2).
LE MAL DU SIECLE
Le mal du siècle c’est tout simplement le présent, période d’incertitude, de latence, d’attente, de vacuité, à la fois immobile et mouvante,
• « ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide… » (extrait 1 – lignes 4 et 5) ;
• « je ne sais quoi de vague et de flottant » (extrait 2 – ligne 4) ;
• « une amante de marbre » (extrait 2 - ligne 12) ;
• « ange du crépuscule qui n’est ni la nuit ni le jour » (extrait 2 – ligne 14) ;
• « l’esprit du siècle… serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant de froid » (extrait 2 – lignes 14 et 15)
Mais pour encore mieux marquer le mal-être que génère le présent, l’auteur termine par l’évocation des affres de la mort au travers d’une représentation hideuse (« ce spectre moitié momie et moitié fœtus » extrait 2 – ligne 16), image qui n’est pas sans rappeler les « fantasmagories » que montrent certains monuments funéraires du cimetière du Père-Lachaise à Paris.
CONCLUSION
En guise de conclusion, on peut dire que MUSSET se fait le chantre d’une cause qu’il a épousé assez tardivement, n’étant pas lui-même directement partie intégrante de cette génération perdue qui a connu dans sa jeunesse l’épopée révolutionnaire et la gloire impériale. Il ne cherche d’ailleurs à aucun moment – du moins dans les extraits présentés ici – à se mettre en scène. Néanmoins, il apparaît comme le porte-drapeau du « mal du siècle » même s’il n’est pas l’initiateur de la formule. D’autres, en effet l’ont précédé dans cette voie et lui ont peut-être indiqué le chemin…
A preuve ce poème composé dès 1830 (ode à la colonne) par Victor Hugo que je vous livre pour terminer :
Dors nous t’irons chercher ! – Ce jour viendra peut-être !
Car nous t’avons pour Dieu sans t’avoir eu pour maître ;
Car notre œil s’est mouillé de ton destin fatal,
Et, sous les trois couleurs comme sous l’oriflamme,
Nous ne nous pendons pas à cette corde infâme
Qui t’arrache à ton piédestal.
Oh ! va, nous te ferons de belles funérailles !
Nous aurons bien aussi peut-être nos batailles.
Nous en ombragerons ton cercueil respecté.
Nous y convierons tout, Europe, Afrique, Asie,
Et nous t’amènerons la jeune poésie
Chantant la jeune liberté.
INTRODUCTION
En premier lieu, il apparaît nécessaire de tracer un bref portrait de l’auteur, en le replaçant dans les soubresauts de son temps.
Alfred de MUSSET naît en 1810, et ne connaîtra pratiquement pas la période napoléonienne, dans la mesure où il n’est âgé que de cinq ans lorsque l’Empereur abdique (1815) et que les Bourbons remontent sur le trône. il n’en a que onze lorsque Napoléon meurt en exil à Saint-Hélène (1821).
Il fait son entrée dans le cénacle romantique l’Arsenal en 1828, d’abord par l’entremise de Charles NODIER, son initiateur, puis sous les auspices de Victor HUGO. MUSSET n’a que dix-huit ans.
Au plan littéraire, il apparaît comme un auteur prolixe qui se frotte avec bonheur à tous les genres (poésie, roman, théâtre…). Dans sa vie privée, il est au moins autant prolixe en multipliant les aventures amoureuses, dont la plus connue et la plus tumultueuse est celle qu’il vit avec George SAND.
EN 1852, MUSSET est reconnu par l’élite littéraire de son temps et fait son entrée à quarante-deux ans à l’Académie Française. Mais, il meurt peu après en 1857, « encore jeune, mais déjà usé », diront ses hagiographes. Le second empire est alors bien installé. Il a sonné, pour un temps, le glas des espoirs que les romantiques avaient placé en lui.
Alfred de MUSSET écrit « la confession d’un enfant du siècle » - dont sont tirés les deux extraits, objets du présent exposé - en 1836, alors que Louis-Philippe est sur le trône et que la classe dominante a récupéré à son seul profit le gain des journées révolutionnaires de juillet 1830. Choisissant clairement son camp (on le verra au fil des deux extraits de texte), il y définit le « mal du siècle » dont souffre à ses yeux « la génération perdue » de ces enfants désespérés nés sous l’Empire. Et pour ce faire, il va s’appuyer sur un registre dichotomique (à l’instar de Mme de STAEL, lorsqu’elle pose les bases du romantisme) grâce auquel il promeut le monde à venir au détriment du passé, tout en utilisant quelques uns des ingrédients propres aux romantiques.
LE REVE BRISE DES ENFANTS DU SIECLE
De la même manière que dans le premier extrait, MUSSET exalte sur le ton de l’Epopée la période impériale, mais en la raccrochant cette fois nettement à la Révolution, dont elle a poursuivi l’œuvre et porté la vocation universelle. Selon lui, l’Empire n’est certainement pas un hiatus de l’histoire, mais la poursuite logique et non dissociable d’un processus entamé en 1789.
Les deux extraits contiennent des références historiques directes de l’indissociabilité des deux périodes :
• « Moscou » et « Les Pyramides » (extrait 1 - ligne 3) illustrent deux batailles, l’une au déclin de l’Empire, la deuxième marquant le début de l’ascension du jeune Bonaparte ;
• « des enfants pleins de force et d’audace, fils de l’Empire et petits-fils de la Révolution » (extrait 2 - lignes 9 et 10).
Bien que moins apparents, d’autres rappels historiques sont significatifs :
• « ils avaient rêvé pendant quinze ans… » (extrait 1 - ligne 2), l’Empire n’ayant duré que dix ans, l’auteur lui rattache bien une partie des guerres révolutionnaires (la période conventionnelle en l’occurrence) ;
• « ils n’étaient pas sortis de leurs villes, mais on leur avait dit que par chaque barrière de ces villes, on allait à une capitale d’Europe » (extrait 1 - lignes 3 et 4), référence aux conquêtes napoléoniennes.
LE REGISTRE DICHOTOMIQUE
L’engagement politique de l’auteur se décline également sur un mode nettement dichotomique, notamment dans son rejet de tout ce qui à l’évidence ou en filigrane ressort de l’Ancien Régime :
• « …avec tous les fossiles des siècles de l’absolutisme » (extrait 2 - ligne 2) est une référence claire au retour des Bourbons ;
• « ils avaient dans la tête tout un monde ; ils regardaient la terre …tout cela était vide, et les cloches de leurs paroisses résonnaient seules dans le lointain » (extrait 1 lignes 4, 5 et 6), de l’univers il ne restait rien, leurs villes même avaient été ravalées au rang de simples paroisses. Le monde s’est réduit comme une peau de chagrin. De fait, la restauration voit un retour aux frontières de 1789 et donc non seulement un abandon des conquêtes impériales mais également révolutionnaires.
Dans le deuxième extrait, Musset va poursuivre sur le mode comparatif, de la même manière que Mme de STAEL, mais pour opposer l’ancien régime passé et révolu qu’il réprouve au futur qu’il appelle de ses vœux :
• « derrière eux, un passé à jamais détruit, s’agitant encore sur ses ruines » (lignes 1 et 2) opposé à « devant eux, l’aurore d’un immense horizon, les premières clartés de l’avenir » (lignes 2 et 3) ;
• « le vieux continent » (ligne 4) opposé à « la jeune Amérique » (ligne 4) ;
• « quelque blanche voile lointaine » (ligne 5) opposée à « quelque navire soufflant une lourde vapeur » (ligne 6) ;
• « semence » opposée à « débris » (ligne 8) ;
• « momie » opposée à « fœtus » (ligne 16).
LES INGREDIENTS ROMANTIQUES
L’auteur utilise tout au long des deux textes les pluriels qui accentuent l’idée de chant épique et sont significatifs de l’unanimité et de l’adhésion d’un peuple entier aux idéaux révolutionnaires transcendés par l’Empire. Il s’agit d’un élan collectif à la fois passionnel et fusionnel qui tient lieu de pensée ;
L’idée d’universalité de ces idéaux est non seulement géographique (jusqu’en Russie et par delà jusqu’en Orient) mais climatique (neiges et soleil) (extrait 1 -ligne 3).
Cette idée rejoint une autre constante romantique : la nature, mais dans ses aspects les moins marqués par le travail de l’homme :
• « l’Océan » (extrait 2 – ligne 4), « une mer houleuse et pleine de naufrages » (extrait 2 – lignes 4 et 5) ;
• mais aussi « la jeune Amérique » (extrait 2 – ligne 4), tant comme terre porteuse d’espoir en terme de liberté et d’égalité des chances, que comme continent vierge, terra encore largement incognita.
MUSSET évoque également le sang, mais à la différence du premier texte, il ne l’utilise pas en tant que vecteur de mort. Au contraire, il en fait une semence (« tous ces enfants étaient des gouttes d’un sang qui avait inondé la terre » extrait 1 – lignes 1 et 2), un principe de vie (« ils attendaient qu’elle s’animât, que le sang colorât ses veines » extrait 2 – lignes 12 et 13), un élément liquide qu’il va opposer à la sècheresse et à la poussière des temps révolus (« fossiles » extrait 2 – ligne 2 ; « débris » extrait 2 – ligne 8 ; «sac de chaux plein d’ossements » extrait 2 – ligne 15 ; « momie » directement en concurrence avec « fœtus » extrait 2 – ligne 16.
On notera enfin la référence aux ruines dans les deux textes ; encore ne s’agit-il dans aucun des deux cas d’éléments décoratifs aptes à susciter la rêverie ou la mélancolie, mais plutôt de la symbolisation du rêve brisé (extrait - 1 ligne 1 et extrait 2 - ligne 2).
LE MAL DU SIECLE
Le mal du siècle c’est tout simplement le présent, période d’incertitude, de latence, d’attente, de vacuité, à la fois immobile et mouvante,
• « ils regardaient la terre, le ciel, les rues et les chemins ; tout cela était vide… » (extrait 1 – lignes 4 et 5) ;
• « je ne sais quoi de vague et de flottant » (extrait 2 – ligne 4) ;
• « une amante de marbre » (extrait 2 - ligne 12) ;
• « ange du crépuscule qui n’est ni la nuit ni le jour » (extrait 2 – ligne 14) ;
• « l’esprit du siècle… serré dans le manteau des égoïstes, et grelottant de froid » (extrait 2 – lignes 14 et 15)
Mais pour encore mieux marquer le mal-être que génère le présent, l’auteur termine par l’évocation des affres de la mort au travers d’une représentation hideuse (« ce spectre moitié momie et moitié fœtus » extrait 2 – ligne 16), image qui n’est pas sans rappeler les « fantasmagories » que montrent certains monuments funéraires du cimetière du Père-Lachaise à Paris.
CONCLUSION
En guise de conclusion, on peut dire que MUSSET se fait le chantre d’une cause qu’il a épousé assez tardivement, n’étant pas lui-même directement partie intégrante de cette génération perdue qui a connu dans sa jeunesse l’épopée révolutionnaire et la gloire impériale. Il ne cherche d’ailleurs à aucun moment – du moins dans les extraits présentés ici – à se mettre en scène. Néanmoins, il apparaît comme le porte-drapeau du « mal du siècle » même s’il n’est pas l’initiateur de la formule. D’autres, en effet l’ont précédé dans cette voie et lui ont peut-être indiqué le chemin…
A preuve ce poème composé dès 1830 (ode à la colonne) par Victor Hugo que je vous livre pour terminer :
Dors nous t’irons chercher ! – Ce jour viendra peut-être !
Car nous t’avons pour Dieu sans t’avoir eu pour maître ;
Car notre œil s’est mouillé de ton destin fatal,
Et, sous les trois couleurs comme sous l’oriflamme,
Nous ne nous pendons pas à cette corde infâme
Qui t’arrache à ton piédestal.
Oh ! va, nous te ferons de belles funérailles !
Nous aurons bien aussi peut-être nos batailles.
Nous en ombragerons ton cercueil respecté.
Nous y convierons tout, Europe, Afrique, Asie,
Et nous t’amènerons la jeune poésie
Chantant la jeune liberté.
lundi 1 mars 2010
Exposé Gérard de Nerval - El Desdichado
EL DESDICHADO
PLAN DE L’EXPOSE
***
INTRODUCTION
I - LA COMPOSITION, un équilibre parfait quasi architectural
1 – Rigoureuse forme du sonnet
2 – L’alexandrin classique
II – LES CHIMERES
1 – Chimères mythologiques et fabuleuses
2 – La Chimère cosmologique
3 – La Chimère végétale support du panthéisme nervalien
III – LES IDENTITES LITTERAIRES DE NERVAL
1 – L’inspiration romantique
2 – La Renaissance. La Pléiade
3 – Le Roman Tragique héritier de Scarron
CONCLUSION
***
INTRODUCTION
Gérard de Nerval
Gérard LABRUNIE, dit Gérard de Nerval
1808-1855
Il perdit sa mère en bas âge et fut élevé à Mortefontaine, dans le Valois, par un grand-oncle : les paysages du Valois et l’absence d’affection maternelle le marqueront profondément. La première partie de sa vie est celle d’un dandy et d’un romantique passionné. Attiré par l’Allemagne, il traduit une partie du « Faust » de Goethe (1828), écrit des vers et fait de la critique dramatique. Mais, après une passion malheureuse pour l’actrice Jenny Colon, qu’il transfigurera dans ses œuvres, il est frappé, à partir de 1841, de crises d’aliénation mentale, qui entraîneront son internement à plusieurs reprises. Il continue cependant à voyager en Italie, en Allemagne, en Orient, et il écrit alors ses plus belles œuvres : Les filles du feu (fin 1853), ensemble de sept contes dont chacun porte le nom d’une femme (Sylvie est le plus célèbre), le recueil de poèmes les Chimères (1854) et Aurélia ou le rêve et la vie (1855). Il a publié en 1851 Voyage en Orient où se traduit son intérêt passionné pour les mythologies antiques et les croyances ésotériques. Un matin de janvier 1855, on le trouva pendu dans la rue de la Vieille-Lanterne, à Paris, à l’emplacement actuel du Théâtre de la Ville.
Les Chimères est un recueil de 12 sonnets dont El Desdichado est le premier. Ce recueil a été intégré aux Filles du Feu en guise de prologue. « Les Chimères » est un regroupement de 2 séries de poésies précédemment écrites. Un premier groupe en 1841, le deuxième en 1853, auquel est rattaché El Desdichado. On notera que ces poèmes ont été conçus à la suite de crises de folie. Le Poète avouant : « ils ont été faits non au plus fort de ma maladie, mais au milieu même de mes hallucinations ».
Nous verrons donc dans un premier temps la composition de ce poème puis certaines des chimères qu’il recèle et enfin les identités littéraires de Nerval.
LA COMPOSITION, un équilibre parfait quasi architectural.
a) Rigoureuse forme du sonnet
- 2 quatrains puis deux tercets. C’est une forme apparu au 16ième siècle, poursuivie au 17ième siècle , laissée de côté au 18ième pour subir un renouveau au 19ième siècle.
- Alternance rime masculines et féminines. Ex : « inconsolé /abolie » vers 1-2
- Les deux quatrains ont des rimes croisées (ABAB) « constellé Italie désolé s’allie » 2ième quatrain.
- Les quatre premiers vers du début des deux tercets ont des rimes embrassées (ABBA) « Biron /reine /sirène/ Achéron »
- Les deux derniers vers plus souples dans leur homophonie possèdent des rimes plates (AA) « Orphée/fée »
- Le fait que Nerval suive la rigoureuse forme du sonnet sans se permettre quelques innovations (sans parler du rupture totale) le rapproche plus dans la forme du poète de la Pléiade Ronsard que de ses contemporains romantiques. Cela en aucun cas dans le fond, en effet l’occurrence « luth » (vers 3) ainsi que « lyre » (vers 13) sont des emblèmes du lyrisme, ce courant romantique qui explore les passions du moi de l’individu.
- Nous remarquons une rupture entre les deux quatrains et les deux tercets. En effet la formule assertive « Je suis » (vers 1) que l’on trouve dans le premier vers du premier quatrain se retrouve reprise dans le premier vers du premier tercet par la formule cette fois interrogative : « Suis-je » (vers9). Le poète, qui ne peut définir son identité que comme celle des autres, interroge lui même son attitude par cette formule interrogative. Car nous pouvons le remarquer ceux qu’il se dit être en grande partie comme « Le prince d’Aquitaine » (vers 2) ne sont plus, il est donc ce qui n’est pas. Il incarne sa propre dépossession.
b) L’alexandrin classique
- Les quatorze vers de ce sonnet sont dans l’ensemble composés d’alexandrins classiques (6 plus 6). La césure en deux hémistiches est pour chacun d’eux assez repérable. Par exemple : « Je suis le ténébreux / le veuf l’inconsolé »
- Ces vers pairs donnent une certaine idée d’équilibre, équilibre tout dans d’abord dans l’affirmation péremptoire puis dans l’interrogation. Cela donne l’impression que le poète croit avec assurance se connaître pour finalement douter mais avec la même assurance. Ces emprunts d’identités sont provisoires car elles ne le satisfont pas. La graphie particulière du vers 9 par exemple en est le signe :
« Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ? »
Les points de suspension renforcent la mise en débat du contenu de l’interrogation.
- Enfin les deux derniers alexandrins qui contrastent par leurs homophonies peuvent aussi être considérés comme une rupture sémantique et la chute caractéristique d’un sonnet.
Vers 13-14 : « Modulant tour à tour sur la lyre d'OrphéeLes soupirs de la sainte et les cris de la fée »
La seule chose dont soit sûr le poète c’est qu’il en est un au même titre qu’ «Orphée » et qu’il emprunte des identités provisoires et leurs sentiments chrétiens (« sainte ») et païens (« fée ») selon une attitude bien romantique et lyrique (« lyre » comme métonymie du lyrisme)
Enfin nous noterons la majuscule de la première lettre du nom commun « Mélancolie » (vers 4) écrit en italique qui insiste bien sur les conditions mentales du poète et place complètement le sonnet au sein du romantisme noir). Sur certaines éditions d’autres mots sont en majuscules comme Etoile (vers 3) qui renvoie nous le verrons dans une seconde partie à une identité théâtrale, au Roman Comique de Scarron : ici la majuscule permet la polysémie entre le nom propre et le nom commun, un écart entre le signe et le référant propre au langage poétique par le signe « étoile » nous pensons au personnage mais aussi aux astres.
En conclusion de cette première partie : Nous avons privilégié la forme au sens bien que ces deux éléments soient étroitement liés. Nous allons le voir par la suite, ce sonnet (forme poétique relativement courte) est par le biais des identités provisoires très riche sémantiquement. Peut être parce que comme le disait Baudelaire « Parce que la forme est contraignante l’idée jaillit plus intense » Lettre à Armand Fraisse du 18 février 1860.
II – LES CHIMERES
Les chimères (du titre- éponyme de l’œuvre à laquelle appartient le poème) sont des animaux fabuleux – voire des monstres - nés de l’accouplement de deux êtres dissemblables, parfois complémentaires souvent antinomiques. C’est également, pour Nerval, le rêve inaccessible d’une union parfaite avec au moins une des figures de la femme idéale.
1- Chimères mythologiques et fabuleuses
Les chimères sont partout présentes dans le Poème. Le titre lui-même en est un exemple : « El Desdichado », le chevalier en déshérence tiré de l’Ivanhoé de Walter Scott, le chevalier : déclinaison médiévale du Centaure mythologique – mi-homme, mi-cheval. Autres chimères : la Sirène du vers 11, femme-poisson mythologique et la fée, du dernier vers, en l’occurrence Mélusine, femme-serpent tirée d’une légende médiévale poitevine.
2- La chimère cosmologique
Mais les chimères ne sont pas toutes mythologiques, elles peuvent sous la plume de Nerval devenir cosmologiques et concrétiser l’union des contraires, notamment celle de l’ombre et de la lumière qui se côtoient tout au long du sonnet par touches, allusions et métaphores mais dont la plus significative semble être le Soleil noir du vers 4.
Le soleil noir est un thème récurrent chez Nerval. Il en est également question dans « Le Voyage en Orient » (1851) et, dans Aurélia, il apparaît comme le corollaire d’une volonté d’autodestruction dont le poète prend conscience par la crainte de la fin d’un monde : « Arrivé sur la Place de la Concorde, ma pensée était de me détruire. A plusieurs reprises, je me dirigeai vers la Seine mais quelque chose m’empêchait d’accomplir mon dessein. Les étoiles brillaient dans le firmament. Tout à coup, il me sembla qu’elles venaient de s’éteindre… Je croyais voir un soleil noir dans le ciel désert et un globe rouge de sang au dessus des Tuileries. Je me dis : La nuit éternelle commence et elle va être terrible. Que va-t-il arriver quand les hommes s’apercevront qu’il n’y a plus de soleil ».
Il s’agit bien d’une image tirée de l’Apocalypse de Saint-Jean (Livre VI – Verset 12) : « Puis je vis l’Agneau ouvrir le sixième sceau ; survint alors un grand séisme, le soleil noircit comme tissu de crin, la lune entière devint rouge sang, et les étoiles du ciel se mirent à choir sur terre »…
Ma seule Etoile est morte et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Le soleil noir de la mélancolie, c’est le retrait du monde, dans la nuit de la folie, antichambre de la mort elle-même prélude à de nouvelles vies.
3- La chimère végétale support du Panthéisme nervalien
Les chimères peuvent également être végétales, ainsi en va-t-il de celle évoquée au vers 8, Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie. On peut y lire la fusion de deux couleurs complémentaires : le rouge, symbole, selon l’occultiste du XIX° siècle Oswald WIRTH, de l’esprit, de l’ardeur, de l’amour et de l’énergie, et le vert symbole de végétation, de fluide vital, d’eau nourricière, de lascivité et de langueur – le thème est d’ailleurs relayé par les vers 10 et 11 avec le rouge du baiser de la Reine et le vert d’eau sous-entendu de la grotte où nage la Sirène. Le vers 8 est également significatif de la chimère panthéiste nervalienne : la rose, fleur chrétienne emblématique de la vierge et de la sainteté et la vigne symbole par excellence du paganisme dionysiaque. Le dernier vers répond en écho avec Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée. Mais à qui Nerval fait-il allusion en l’occurrence ? Car s’il transparaît que les cris sont ceux de Mélusine qui revient hanter les douves du château de Lusignan et signale ainsi sa présence ; qu’en est-il des soupirs, sont-ce ceux d’Adrienne (tirée de Sylvie des « Filles du Feu ») ? - Adrienne, ce rêve d’amour de jeunesse à la voix merveilleuse, « cette belle à peine entrevue », perdue par Nerval, pour avoir été consacrée par sa famille à la vie religieuse et qui mourra au couvent.
Dans une moindre mesure, la fleur (du vers 7, La Fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé) peut être rattachée à la Chimère Végétale dans la mesure où elle induit une double interprétation, en fonction du genre de fleur auquel le poète aura fait référence, et du degré d’intensité qu’on donne au qualificatif désolé. Si, ainsi qu’il est mentionné dans une annotation portée par Nerval à un des manuscrits de l’œuvre, il s’agit de l’Ancolie, l’auteur s’inscrit à la fois dans le romantisme par le rapport poétique de cette fleur à la tristesse et, pourquoi pas dans une lecture plus hermétique : ancolie apparaissant comme la rime parfaite, mais en l’occurrence secrète de Mélancolie, tout en étant son homophone… Mais si on pense à la rose trémière – ou althæa – de la famille des mauves, autre fleur fétiche de Nerval, dont il est par ailleurs question dans un autre sonnet des « Chimères » : Artémis, on replace certes le vers dans une démarche chrétienne (dans la mesure où Nerval fait de cette fleur l’attribut d’une « sainte napolitaine »). Mais, on confère également à son auteur une identité romantique résolument noire et presque masochiste, car à ses yeux la rose trémière est symbole de mort et d’amour défunt :
C’est la Mort – ou la Morte… ô délice ! ô tourment !
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.
La chimère, c’est encore pour Nerval « les deux moitiés d’un seul amour », que le poète ne peut atteindre dans son idéalité quelles que soient ses identités au fil des temps, car tous les personnages dont il revêt la forme sont amants contrariés dans leur passion, très souvent esseulés et peut-être parfois félons…
III – LES IDENTITES LITTERAIRES DE NERVAL
1- L’inspiration romantique
Dans cette quête de la dualité, le romantisme constitue un terreau de prédilection pour le poète, tant dans ses sources historico-légendaires, que dans ses paysages ou ses évocations. Encore faut-il regarder avec prudence telle ou telle occurrence, car la lecture en est souvent double et renvoie à une autre identité.
Le titre « El Desdichado », littéralement le malheureux, le déshérité, puise ses racines dans le Moyen-Age idéalisé par les romantiques, et plus particulièrement par Walter Scott dans son Ivanhoé. Ce pauvre chevalier a perdu tous ses biens, Walter Scott écrit à son sujet : « il n’avait d’autres armoiries qu’un jeune chêne déraciné – qui renvoie à la tour abolie du vers 2 – et sa devise était le mot espagnol : Desdichado, c'est-à-dire déshérité ».
Fidèle au roi Richard Cœur de Lion, ce chevalier défie en tournoi les partisans de Jean Sans Terre, monarque à la déplorable réputation dont d’autres auront aussi à souffrir. C’est le cas d’Hugues IX de Lusignan (vers 9) qui, au 12° siècle, se plaignit à Philippe Auguste, son Suzerain, contre le même Jean Sans Terre qu’il accusait d’avoir enlevé sa fiancée : Isabelle d’Angoulême.
Des Lusignan, Nerval exploite aussi la geste médiévale poitevine qui fait de la Fée Mélusine l’aïeule et la protectrice de cette famille. Mélusine avait fait promettre à son époux Raymondin de Lusignan de ne surtout pas chercher à la voir le samedi. Mais, celui-ci finit par surprendre le secret de la fée qui se changeait ce jour-là partiellement en serpent. Mélusine disparut aussitôt, et depuis ce temps, chaque fois qu’un Lusignan est en danger, elle est censée revenir dans les douves du château pousser des cris de douleur – les cris de la fée du dernier vers.
L’identité du Prince d’Aquitaine à la tour abolie (vers 2) parait beaucoup plus incertaine. S’agit-il de Richard Cœur de Lion (prisonnier dans une tour et lui-même ennemi de Jean Sans Terre) ? Du Prince Noir ? Du Duc d’Aquitaine Guillaume IX, surnommé le Prince des Troubadours ? Ou plus simplement d’une identité onirique de Nerval qui se voulait, par son père, le descendant d’une haute lignée de cette région et dont une partie du nom « brunn »signifierait « tour » en gothique.
Le deuxième quatrain fait passer le lecteur de l’ombre du veuvage et du Soleil noir à la nostalgie de la lumière italienne. Ces vers ne sont pas sans ressembler à l’évocation par Nerval d’un séjour en Italie, qu’il situe au printemps 1835, dans « Octavie » (une autre nouvelle des « Filles du feu »). Octavie apparaît comme une des clés possibles de El Desdichado, notamment dans la description que Nerval en fait dans « les Filles du Feu » et dans les pouvoirs qu’il lui prête : « Cette fille des eaux, qui se nommait Octavie, vint un jour à moi toute glorieuse d’une pêche étrange quelle avait faite. Elle tenait dans ses blanches mains un poisson qu’elle me donna ». Octavie est la métaphore de la Sirène, c’est la Reine des poissons. Mais, c’est aussi la consolatrice, celle grâce à qui le poète renonce à la tentation par deux fois repoussée d’un suicide par noyade dans la mer, après avoir gravi (sic)« le Pausilippe au dessus de la grotte » (Le Pausilippe est une montagne près de Naples au dessus d’une grotte : la crypta neapolitana, entrée mythique des enfers où la légende situe le tombeau de Virgile).
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie (vers 5 et 6)
Et vers 12 :
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron.
Enfin, en ce qui concerne l’évocation de Biron (vers 9) les sources consultées indiquent que Nerval a pu écrire indifféremment Biron ou Byron. Dans le deuxième cas, il a donc pu faire allusion au poète romantique anglais qui a incarné dans son œuvre l’orgueil, la révolte, la violence et la provocation et qui est mort en 1824 par amour pour la Liberté au milieu des insurgés grecs luttant pour leur indépendance contre les ottomans.
Mais, Nerval peut également faire allusion à Charles de Gontaut, Duc de Biron, compagnon d’Henri IV qui le fit Maréchal de France et Gouverneur de Bourgogne, mais qui conspira contre lui et qui fut exécuté sur ordre du roi…
Dans cette deuxième acception, l’identité connexe de Phébus, au début du même vers, pourrait trouver son origine dans le Roman Historique d’Hugo, « Notre Dame de Paris » et faire référence à cet inconsistant capitaine des gardes infidèle dans ses amours autant que lâche dans son inconstance.
Dans ce cas, le jeu d’ombres et lumières de l’œuvre s’en trouve décalé, le soleil et le chantre de la liberté cédant la place à leurs doubles obscurs : le traître à sa passion et le traître à son roi…
2- La Renaissance. La Pléiade.
Mais en deçà du Duc de Biron et d’Henri IV, Nerval va également puiser une partie de ses sources dans la Renaissance. Dans la forme du Poème déjà, il s’agit d’un sonnet aux formes métriques rigoureuses, même s’il n’emploie pas les décasyllabes, leur préférant les alexandrins qu’avant lui Ronsard ou Du Bellay avaient aussi utilisé.
Par ailleurs, Nerval ne cache pas son admiration pour les poètes de la Pléiade, ainsi en 1830 publie-t-il un choix de Poésies de Ronsard.
On pourrait voir l’influence de la Pléiade dans les deux premiers vers du premier quatrain :
Je suis le Ténébreux – le Veuf, - l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie
qui, du même coup, perdraient les accents sombres de leur lecture romantique pour prendre l’aspect d’un clin d’œil, Nerval surjouant alors son désespoir en prenant une série d’identités irréalistes (ce qui expliquerait l’emploi de majuscules initiales devant ce qu’on considère ordinairement comme des noms communs), à l’exemple des surnoms pompeux dont s’affublaient certains mauvais poètes du XVI° siècle – mauvais poètes fustigés par Du Bellay dans sa « Défense et Illustration de la langue française » quand il écrit : « Je ne souhaite moins que ces Dépourvus, ces Humbles espérants, ces Bannis de liesse, ces Esclaves, ces Traverseurs soient renvoyés à la Table ronde : et ces belles petites devises aux gentilshommes et damoiselles, d’où on les a empruntées ».
Le deuxième quatrain pourrait également se lire à l’aune de l’Italie française qu’ont pu connaître certains des poètes de la Renaissance, tels Ronsard qui a participé aux Guerres d’Italie entreprises par les rois de France - et plus particulièrement Louis XII et François I°. De même peut-on y percevoir l’influence de Joachim Du Bellay dans « Les Antiquités de Rome » ou « Les Regrets ».
Par ailleurs, certaines des identités fabuleuses envisagées par Nerval, ont été des thèmes de prédilection des versificateurs de la Renaissance. On notera d’ailleurs qu’ici dans tous les cas, il s’agit une nouvelle fois d’amoureux contrariés ou d’amants esseulés.
Suis-je Amour ou Phébus (vers 9) ou Orphée (vers 13)
Amour, Eros a vu son amour pour Psyché mis à mal par des épreuves imposées par Vénus. La vie amoureuse de Phébus, Apollon, est parsemée d’échecs (Daphné métamorphosée en laurier, Clytie changée en héliotrope, et Hyacinthe en jacinthe). Enfin, Orphée descendit aux Enfers, et comme Nerval deux fois vainqueur [traversa] l’Achéron pour y chercher Eurydice, qu’il perdit définitivement pour l’avoir regardé…
3- « Le Roman Tragique » héritier de Scarron.
L’ultime identité nervalienne ne serait-elle pas celle de Brisacier, ce comédien fou de son art dont le poète endosse la personnalité dans sa Lettre Préface à Alexandre Dumas et qu’il ressuscite du Roman Tragique qu’il a conçu en 1844.
Par cette œuvre, Nerval entendait donner une suite au Roman Comique, paru en 1651, dans lequel Scarron narrait les tribulations d’une troupe de comédiens ambulants et notamment Le Destin (nom originellement choisi comme titre à El Desdichado) et l’Etoile, jeune comédienne que le Destin finira par épouser au grand dam de La Rancune (un autre comédien) et de Ragotin (petit avocat rimailleur sans talent qui décide de se joindre à la troupe).
Et quand Nerval écrit :
Ma seule Etoile est morte et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie
Brisacier, son double tragi-comique, lui répond en écho, en guise de prologue aux Chimères : « me voici encore dans ma prison, madame ; toujours imprudent, toujours coupable à ce qu’il semble, et toujours confiant, hélas ! Dans cette belle étoile de comédie, qui a bien voulu m’appeler son destin. L’Etoile et le Destin : quel couple aimable dans le roman du poète Scarron ! »... « moi, le brillant comédien naguère, le prince ignoré, l’amant mystérieux, le déshérité, le banni de liesse, le beau ténébreux… »
Brisacier apparaît comme la face théâtrale de Nerval, non seulement dans ses œuvres dédiées au théâtre mais aussi dans ses amours d’actrices, telles Jenny Colon. Il apparaît également comme la preuve vivante des échecs amoureux de Nerval. On est d’ailleurs en droit de s’interroger sur l’identité réelle de Brisacier, ne serait-ce pas « ce pauvre Ragotin » au destin tragique d’amoureux éconduit au fond si semblable à celui de Nerval, et qui manqua son suicide par pendaison, par malchance, pour mourir stupidement noyé sans l’avoir voulu – Ragotin, qui n’eut d’autre talent poétique que celui d’avoir réussi sa propre épitaphe.
Ci-gît le pauvre Ragotin
Lequel fut amoureux d’une très belle Etoile
Que lui enleva le Destin
…
Pour elle il fit la comédie,
Qu’il achève aujourd’hui par la fin de sa vie.
CONCLUSION
En définitive, la seule identité nervalienne dont on ne puisse douter tout au long du poème, c’est son identité poétique récurrente tant dans ses figures d’élection que dans leurs attributs.
Autre point d’ancrage de El Desdichado, la dualité que Nerval revendique et dont il fait une condition sine qua non de sa quête, voire même le moteur de sa démarche.
Et, à la conjonction de l’Art et de la Dualité, on peut placer sa croyance dans la métempsychose, laquelle établit le poète en héritier de ses propres expériences passées et ramène son œuvre à un travail perpétuellement inachevé, mais en devenir constant puisque appelé à être complété à l’infini.
Nerval n’écrit-il pas en effet : « inventer au fond c’est se ressouvenir » ?
En tout état de cause, le parti pris du présent exposé n’était pas tant de mettre en lumière le texte dans son intégralité, que de tenter d’en éclairer les facettes les plus significatives. La complexité d’une telle œuvre, malgré son évidente brièveté, offre tant de possibilités d’angles d’exposition - dans l’espace, mais aussi dans le temps – qu’elle ne s’accommodera jamais de la prétention d’en faire une lecture fermée et définitive.
PLAN DE L’EXPOSE
***
INTRODUCTION
I - LA COMPOSITION, un équilibre parfait quasi architectural
1 – Rigoureuse forme du sonnet
2 – L’alexandrin classique
II – LES CHIMERES
1 – Chimères mythologiques et fabuleuses
2 – La Chimère cosmologique
3 – La Chimère végétale support du panthéisme nervalien
III – LES IDENTITES LITTERAIRES DE NERVAL
1 – L’inspiration romantique
2 – La Renaissance. La Pléiade
3 – Le Roman Tragique héritier de Scarron
CONCLUSION
***
INTRODUCTION
Gérard de Nerval
Gérard LABRUNIE, dit Gérard de Nerval
1808-1855
Il perdit sa mère en bas âge et fut élevé à Mortefontaine, dans le Valois, par un grand-oncle : les paysages du Valois et l’absence d’affection maternelle le marqueront profondément. La première partie de sa vie est celle d’un dandy et d’un romantique passionné. Attiré par l’Allemagne, il traduit une partie du « Faust » de Goethe (1828), écrit des vers et fait de la critique dramatique. Mais, après une passion malheureuse pour l’actrice Jenny Colon, qu’il transfigurera dans ses œuvres, il est frappé, à partir de 1841, de crises d’aliénation mentale, qui entraîneront son internement à plusieurs reprises. Il continue cependant à voyager en Italie, en Allemagne, en Orient, et il écrit alors ses plus belles œuvres : Les filles du feu (fin 1853), ensemble de sept contes dont chacun porte le nom d’une femme (Sylvie est le plus célèbre), le recueil de poèmes les Chimères (1854) et Aurélia ou le rêve et la vie (1855). Il a publié en 1851 Voyage en Orient où se traduit son intérêt passionné pour les mythologies antiques et les croyances ésotériques. Un matin de janvier 1855, on le trouva pendu dans la rue de la Vieille-Lanterne, à Paris, à l’emplacement actuel du Théâtre de la Ville.
Les Chimères est un recueil de 12 sonnets dont El Desdichado est le premier. Ce recueil a été intégré aux Filles du Feu en guise de prologue. « Les Chimères » est un regroupement de 2 séries de poésies précédemment écrites. Un premier groupe en 1841, le deuxième en 1853, auquel est rattaché El Desdichado. On notera que ces poèmes ont été conçus à la suite de crises de folie. Le Poète avouant : « ils ont été faits non au plus fort de ma maladie, mais au milieu même de mes hallucinations ».
Nous verrons donc dans un premier temps la composition de ce poème puis certaines des chimères qu’il recèle et enfin les identités littéraires de Nerval.
LA COMPOSITION, un équilibre parfait quasi architectural.
a) Rigoureuse forme du sonnet
- 2 quatrains puis deux tercets. C’est une forme apparu au 16ième siècle, poursuivie au 17ième siècle , laissée de côté au 18ième pour subir un renouveau au 19ième siècle.
- Alternance rime masculines et féminines. Ex : « inconsolé /abolie » vers 1-2
- Les deux quatrains ont des rimes croisées (ABAB) « constellé Italie désolé s’allie » 2ième quatrain.
- Les quatre premiers vers du début des deux tercets ont des rimes embrassées (ABBA) « Biron /reine /sirène/ Achéron »
- Les deux derniers vers plus souples dans leur homophonie possèdent des rimes plates (AA) « Orphée/fée »
- Le fait que Nerval suive la rigoureuse forme du sonnet sans se permettre quelques innovations (sans parler du rupture totale) le rapproche plus dans la forme du poète de la Pléiade Ronsard que de ses contemporains romantiques. Cela en aucun cas dans le fond, en effet l’occurrence « luth » (vers 3) ainsi que « lyre » (vers 13) sont des emblèmes du lyrisme, ce courant romantique qui explore les passions du moi de l’individu.
- Nous remarquons une rupture entre les deux quatrains et les deux tercets. En effet la formule assertive « Je suis » (vers 1) que l’on trouve dans le premier vers du premier quatrain se retrouve reprise dans le premier vers du premier tercet par la formule cette fois interrogative : « Suis-je » (vers9). Le poète, qui ne peut définir son identité que comme celle des autres, interroge lui même son attitude par cette formule interrogative. Car nous pouvons le remarquer ceux qu’il se dit être en grande partie comme « Le prince d’Aquitaine » (vers 2) ne sont plus, il est donc ce qui n’est pas. Il incarne sa propre dépossession.
b) L’alexandrin classique
- Les quatorze vers de ce sonnet sont dans l’ensemble composés d’alexandrins classiques (6 plus 6). La césure en deux hémistiches est pour chacun d’eux assez repérable. Par exemple : « Je suis le ténébreux / le veuf l’inconsolé »
- Ces vers pairs donnent une certaine idée d’équilibre, équilibre tout dans d’abord dans l’affirmation péremptoire puis dans l’interrogation. Cela donne l’impression que le poète croit avec assurance se connaître pour finalement douter mais avec la même assurance. Ces emprunts d’identités sont provisoires car elles ne le satisfont pas. La graphie particulière du vers 9 par exemple en est le signe :
« Suis-je Amour ou Phébus ?... Lusignan ou Biron ? »
Les points de suspension renforcent la mise en débat du contenu de l’interrogation.
- Enfin les deux derniers alexandrins qui contrastent par leurs homophonies peuvent aussi être considérés comme une rupture sémantique et la chute caractéristique d’un sonnet.
Vers 13-14 : « Modulant tour à tour sur la lyre d'OrphéeLes soupirs de la sainte et les cris de la fée »
La seule chose dont soit sûr le poète c’est qu’il en est un au même titre qu’ «Orphée » et qu’il emprunte des identités provisoires et leurs sentiments chrétiens (« sainte ») et païens (« fée ») selon une attitude bien romantique et lyrique (« lyre » comme métonymie du lyrisme)
Enfin nous noterons la majuscule de la première lettre du nom commun « Mélancolie » (vers 4) écrit en italique qui insiste bien sur les conditions mentales du poète et place complètement le sonnet au sein du romantisme noir). Sur certaines éditions d’autres mots sont en majuscules comme Etoile (vers 3) qui renvoie nous le verrons dans une seconde partie à une identité théâtrale, au Roman Comique de Scarron : ici la majuscule permet la polysémie entre le nom propre et le nom commun, un écart entre le signe et le référant propre au langage poétique par le signe « étoile » nous pensons au personnage mais aussi aux astres.
En conclusion de cette première partie : Nous avons privilégié la forme au sens bien que ces deux éléments soient étroitement liés. Nous allons le voir par la suite, ce sonnet (forme poétique relativement courte) est par le biais des identités provisoires très riche sémantiquement. Peut être parce que comme le disait Baudelaire « Parce que la forme est contraignante l’idée jaillit plus intense » Lettre à Armand Fraisse du 18 février 1860.
II – LES CHIMERES
Les chimères (du titre- éponyme de l’œuvre à laquelle appartient le poème) sont des animaux fabuleux – voire des monstres - nés de l’accouplement de deux êtres dissemblables, parfois complémentaires souvent antinomiques. C’est également, pour Nerval, le rêve inaccessible d’une union parfaite avec au moins une des figures de la femme idéale.
1- Chimères mythologiques et fabuleuses
Les chimères sont partout présentes dans le Poème. Le titre lui-même en est un exemple : « El Desdichado », le chevalier en déshérence tiré de l’Ivanhoé de Walter Scott, le chevalier : déclinaison médiévale du Centaure mythologique – mi-homme, mi-cheval. Autres chimères : la Sirène du vers 11, femme-poisson mythologique et la fée, du dernier vers, en l’occurrence Mélusine, femme-serpent tirée d’une légende médiévale poitevine.
2- La chimère cosmologique
Mais les chimères ne sont pas toutes mythologiques, elles peuvent sous la plume de Nerval devenir cosmologiques et concrétiser l’union des contraires, notamment celle de l’ombre et de la lumière qui se côtoient tout au long du sonnet par touches, allusions et métaphores mais dont la plus significative semble être le Soleil noir du vers 4.
Le soleil noir est un thème récurrent chez Nerval. Il en est également question dans « Le Voyage en Orient » (1851) et, dans Aurélia, il apparaît comme le corollaire d’une volonté d’autodestruction dont le poète prend conscience par la crainte de la fin d’un monde : « Arrivé sur la Place de la Concorde, ma pensée était de me détruire. A plusieurs reprises, je me dirigeai vers la Seine mais quelque chose m’empêchait d’accomplir mon dessein. Les étoiles brillaient dans le firmament. Tout à coup, il me sembla qu’elles venaient de s’éteindre… Je croyais voir un soleil noir dans le ciel désert et un globe rouge de sang au dessus des Tuileries. Je me dis : La nuit éternelle commence et elle va être terrible. Que va-t-il arriver quand les hommes s’apercevront qu’il n’y a plus de soleil ».
Il s’agit bien d’une image tirée de l’Apocalypse de Saint-Jean (Livre VI – Verset 12) : « Puis je vis l’Agneau ouvrir le sixième sceau ; survint alors un grand séisme, le soleil noircit comme tissu de crin, la lune entière devint rouge sang, et les étoiles du ciel se mirent à choir sur terre »…
Ma seule Etoile est morte et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie.
Le soleil noir de la mélancolie, c’est le retrait du monde, dans la nuit de la folie, antichambre de la mort elle-même prélude à de nouvelles vies.
3- La chimère végétale support du Panthéisme nervalien
Les chimères peuvent également être végétales, ainsi en va-t-il de celle évoquée au vers 8, Et la treille où le Pampre à la Rose s’allie. On peut y lire la fusion de deux couleurs complémentaires : le rouge, symbole, selon l’occultiste du XIX° siècle Oswald WIRTH, de l’esprit, de l’ardeur, de l’amour et de l’énergie, et le vert symbole de végétation, de fluide vital, d’eau nourricière, de lascivité et de langueur – le thème est d’ailleurs relayé par les vers 10 et 11 avec le rouge du baiser de la Reine et le vert d’eau sous-entendu de la grotte où nage la Sirène. Le vers 8 est également significatif de la chimère panthéiste nervalienne : la rose, fleur chrétienne emblématique de la vierge et de la sainteté et la vigne symbole par excellence du paganisme dionysiaque. Le dernier vers répond en écho avec Les soupirs de la Sainte et les cris de la Fée. Mais à qui Nerval fait-il allusion en l’occurrence ? Car s’il transparaît que les cris sont ceux de Mélusine qui revient hanter les douves du château de Lusignan et signale ainsi sa présence ; qu’en est-il des soupirs, sont-ce ceux d’Adrienne (tirée de Sylvie des « Filles du Feu ») ? - Adrienne, ce rêve d’amour de jeunesse à la voix merveilleuse, « cette belle à peine entrevue », perdue par Nerval, pour avoir été consacrée par sa famille à la vie religieuse et qui mourra au couvent.
Dans une moindre mesure, la fleur (du vers 7, La Fleur qui plaisait tant à mon cœur désolé) peut être rattachée à la Chimère Végétale dans la mesure où elle induit une double interprétation, en fonction du genre de fleur auquel le poète aura fait référence, et du degré d’intensité qu’on donne au qualificatif désolé. Si, ainsi qu’il est mentionné dans une annotation portée par Nerval à un des manuscrits de l’œuvre, il s’agit de l’Ancolie, l’auteur s’inscrit à la fois dans le romantisme par le rapport poétique de cette fleur à la tristesse et, pourquoi pas dans une lecture plus hermétique : ancolie apparaissant comme la rime parfaite, mais en l’occurrence secrète de Mélancolie, tout en étant son homophone… Mais si on pense à la rose trémière – ou althæa – de la famille des mauves, autre fleur fétiche de Nerval, dont il est par ailleurs question dans un autre sonnet des « Chimères » : Artémis, on replace certes le vers dans une démarche chrétienne (dans la mesure où Nerval fait de cette fleur l’attribut d’une « sainte napolitaine »). Mais, on confère également à son auteur une identité romantique résolument noire et presque masochiste, car à ses yeux la rose trémière est symbole de mort et d’amour défunt :
C’est la Mort – ou la Morte… ô délice ! ô tourment !
La rose qu’elle tient, c’est la Rose trémière.
La chimère, c’est encore pour Nerval « les deux moitiés d’un seul amour », que le poète ne peut atteindre dans son idéalité quelles que soient ses identités au fil des temps, car tous les personnages dont il revêt la forme sont amants contrariés dans leur passion, très souvent esseulés et peut-être parfois félons…
III – LES IDENTITES LITTERAIRES DE NERVAL
1- L’inspiration romantique
Dans cette quête de la dualité, le romantisme constitue un terreau de prédilection pour le poète, tant dans ses sources historico-légendaires, que dans ses paysages ou ses évocations. Encore faut-il regarder avec prudence telle ou telle occurrence, car la lecture en est souvent double et renvoie à une autre identité.
Le titre « El Desdichado », littéralement le malheureux, le déshérité, puise ses racines dans le Moyen-Age idéalisé par les romantiques, et plus particulièrement par Walter Scott dans son Ivanhoé. Ce pauvre chevalier a perdu tous ses biens, Walter Scott écrit à son sujet : « il n’avait d’autres armoiries qu’un jeune chêne déraciné – qui renvoie à la tour abolie du vers 2 – et sa devise était le mot espagnol : Desdichado, c'est-à-dire déshérité ».
Fidèle au roi Richard Cœur de Lion, ce chevalier défie en tournoi les partisans de Jean Sans Terre, monarque à la déplorable réputation dont d’autres auront aussi à souffrir. C’est le cas d’Hugues IX de Lusignan (vers 9) qui, au 12° siècle, se plaignit à Philippe Auguste, son Suzerain, contre le même Jean Sans Terre qu’il accusait d’avoir enlevé sa fiancée : Isabelle d’Angoulême.
Des Lusignan, Nerval exploite aussi la geste médiévale poitevine qui fait de la Fée Mélusine l’aïeule et la protectrice de cette famille. Mélusine avait fait promettre à son époux Raymondin de Lusignan de ne surtout pas chercher à la voir le samedi. Mais, celui-ci finit par surprendre le secret de la fée qui se changeait ce jour-là partiellement en serpent. Mélusine disparut aussitôt, et depuis ce temps, chaque fois qu’un Lusignan est en danger, elle est censée revenir dans les douves du château pousser des cris de douleur – les cris de la fée du dernier vers.
L’identité du Prince d’Aquitaine à la tour abolie (vers 2) parait beaucoup plus incertaine. S’agit-il de Richard Cœur de Lion (prisonnier dans une tour et lui-même ennemi de Jean Sans Terre) ? Du Prince Noir ? Du Duc d’Aquitaine Guillaume IX, surnommé le Prince des Troubadours ? Ou plus simplement d’une identité onirique de Nerval qui se voulait, par son père, le descendant d’une haute lignée de cette région et dont une partie du nom « brunn »signifierait « tour » en gothique.
Le deuxième quatrain fait passer le lecteur de l’ombre du veuvage et du Soleil noir à la nostalgie de la lumière italienne. Ces vers ne sont pas sans ressembler à l’évocation par Nerval d’un séjour en Italie, qu’il situe au printemps 1835, dans « Octavie » (une autre nouvelle des « Filles du feu »). Octavie apparaît comme une des clés possibles de El Desdichado, notamment dans la description que Nerval en fait dans « les Filles du Feu » et dans les pouvoirs qu’il lui prête : « Cette fille des eaux, qui se nommait Octavie, vint un jour à moi toute glorieuse d’une pêche étrange quelle avait faite. Elle tenait dans ses blanches mains un poisson qu’elle me donna ». Octavie est la métaphore de la Sirène, c’est la Reine des poissons. Mais, c’est aussi la consolatrice, celle grâce à qui le poète renonce à la tentation par deux fois repoussée d’un suicide par noyade dans la mer, après avoir gravi (sic)« le Pausilippe au dessus de la grotte » (Le Pausilippe est une montagne près de Naples au dessus d’une grotte : la crypta neapolitana, entrée mythique des enfers où la légende situe le tombeau de Virgile).
Dans la nuit du Tombeau, Toi qui m’as consolé
Rends-moi le Pausilippe et la mer d’Italie (vers 5 et 6)
Et vers 12 :
Et j’ai deux fois vainqueur traversé l’Achéron.
Enfin, en ce qui concerne l’évocation de Biron (vers 9) les sources consultées indiquent que Nerval a pu écrire indifféremment Biron ou Byron. Dans le deuxième cas, il a donc pu faire allusion au poète romantique anglais qui a incarné dans son œuvre l’orgueil, la révolte, la violence et la provocation et qui est mort en 1824 par amour pour la Liberté au milieu des insurgés grecs luttant pour leur indépendance contre les ottomans.
Mais, Nerval peut également faire allusion à Charles de Gontaut, Duc de Biron, compagnon d’Henri IV qui le fit Maréchal de France et Gouverneur de Bourgogne, mais qui conspira contre lui et qui fut exécuté sur ordre du roi…
Dans cette deuxième acception, l’identité connexe de Phébus, au début du même vers, pourrait trouver son origine dans le Roman Historique d’Hugo, « Notre Dame de Paris » et faire référence à cet inconsistant capitaine des gardes infidèle dans ses amours autant que lâche dans son inconstance.
Dans ce cas, le jeu d’ombres et lumières de l’œuvre s’en trouve décalé, le soleil et le chantre de la liberté cédant la place à leurs doubles obscurs : le traître à sa passion et le traître à son roi…
2- La Renaissance. La Pléiade.
Mais en deçà du Duc de Biron et d’Henri IV, Nerval va également puiser une partie de ses sources dans la Renaissance. Dans la forme du Poème déjà, il s’agit d’un sonnet aux formes métriques rigoureuses, même s’il n’emploie pas les décasyllabes, leur préférant les alexandrins qu’avant lui Ronsard ou Du Bellay avaient aussi utilisé.
Par ailleurs, Nerval ne cache pas son admiration pour les poètes de la Pléiade, ainsi en 1830 publie-t-il un choix de Poésies de Ronsard.
On pourrait voir l’influence de la Pléiade dans les deux premiers vers du premier quatrain :
Je suis le Ténébreux – le Veuf, - l’Inconsolé,
Le Prince d’Aquitaine à la tour abolie
qui, du même coup, perdraient les accents sombres de leur lecture romantique pour prendre l’aspect d’un clin d’œil, Nerval surjouant alors son désespoir en prenant une série d’identités irréalistes (ce qui expliquerait l’emploi de majuscules initiales devant ce qu’on considère ordinairement comme des noms communs), à l’exemple des surnoms pompeux dont s’affublaient certains mauvais poètes du XVI° siècle – mauvais poètes fustigés par Du Bellay dans sa « Défense et Illustration de la langue française » quand il écrit : « Je ne souhaite moins que ces Dépourvus, ces Humbles espérants, ces Bannis de liesse, ces Esclaves, ces Traverseurs soient renvoyés à la Table ronde : et ces belles petites devises aux gentilshommes et damoiselles, d’où on les a empruntées ».
Le deuxième quatrain pourrait également se lire à l’aune de l’Italie française qu’ont pu connaître certains des poètes de la Renaissance, tels Ronsard qui a participé aux Guerres d’Italie entreprises par les rois de France - et plus particulièrement Louis XII et François I°. De même peut-on y percevoir l’influence de Joachim Du Bellay dans « Les Antiquités de Rome » ou « Les Regrets ».
Par ailleurs, certaines des identités fabuleuses envisagées par Nerval, ont été des thèmes de prédilection des versificateurs de la Renaissance. On notera d’ailleurs qu’ici dans tous les cas, il s’agit une nouvelle fois d’amoureux contrariés ou d’amants esseulés.
Suis-je Amour ou Phébus (vers 9) ou Orphée (vers 13)
Amour, Eros a vu son amour pour Psyché mis à mal par des épreuves imposées par Vénus. La vie amoureuse de Phébus, Apollon, est parsemée d’échecs (Daphné métamorphosée en laurier, Clytie changée en héliotrope, et Hyacinthe en jacinthe). Enfin, Orphée descendit aux Enfers, et comme Nerval deux fois vainqueur [traversa] l’Achéron pour y chercher Eurydice, qu’il perdit définitivement pour l’avoir regardé…
3- « Le Roman Tragique » héritier de Scarron.
L’ultime identité nervalienne ne serait-elle pas celle de Brisacier, ce comédien fou de son art dont le poète endosse la personnalité dans sa Lettre Préface à Alexandre Dumas et qu’il ressuscite du Roman Tragique qu’il a conçu en 1844.
Par cette œuvre, Nerval entendait donner une suite au Roman Comique, paru en 1651, dans lequel Scarron narrait les tribulations d’une troupe de comédiens ambulants et notamment Le Destin (nom originellement choisi comme titre à El Desdichado) et l’Etoile, jeune comédienne que le Destin finira par épouser au grand dam de La Rancune (un autre comédien) et de Ragotin (petit avocat rimailleur sans talent qui décide de se joindre à la troupe).
Et quand Nerval écrit :
Ma seule Etoile est morte et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie
Brisacier, son double tragi-comique, lui répond en écho, en guise de prologue aux Chimères : « me voici encore dans ma prison, madame ; toujours imprudent, toujours coupable à ce qu’il semble, et toujours confiant, hélas ! Dans cette belle étoile de comédie, qui a bien voulu m’appeler son destin. L’Etoile et le Destin : quel couple aimable dans le roman du poète Scarron ! »... « moi, le brillant comédien naguère, le prince ignoré, l’amant mystérieux, le déshérité, le banni de liesse, le beau ténébreux… »
Brisacier apparaît comme la face théâtrale de Nerval, non seulement dans ses œuvres dédiées au théâtre mais aussi dans ses amours d’actrices, telles Jenny Colon. Il apparaît également comme la preuve vivante des échecs amoureux de Nerval. On est d’ailleurs en droit de s’interroger sur l’identité réelle de Brisacier, ne serait-ce pas « ce pauvre Ragotin » au destin tragique d’amoureux éconduit au fond si semblable à celui de Nerval, et qui manqua son suicide par pendaison, par malchance, pour mourir stupidement noyé sans l’avoir voulu – Ragotin, qui n’eut d’autre talent poétique que celui d’avoir réussi sa propre épitaphe.
Ci-gît le pauvre Ragotin
Lequel fut amoureux d’une très belle Etoile
Que lui enleva le Destin
…
Pour elle il fit la comédie,
Qu’il achève aujourd’hui par la fin de sa vie.
CONCLUSION
En définitive, la seule identité nervalienne dont on ne puisse douter tout au long du poème, c’est son identité poétique récurrente tant dans ses figures d’élection que dans leurs attributs.
Autre point d’ancrage de El Desdichado, la dualité que Nerval revendique et dont il fait une condition sine qua non de sa quête, voire même le moteur de sa démarche.
Et, à la conjonction de l’Art et de la Dualité, on peut placer sa croyance dans la métempsychose, laquelle établit le poète en héritier de ses propres expériences passées et ramène son œuvre à un travail perpétuellement inachevé, mais en devenir constant puisque appelé à être complété à l’infini.
Nerval n’écrit-il pas en effet : « inventer au fond c’est se ressouvenir » ?
En tout état de cause, le parti pris du présent exposé n’était pas tant de mettre en lumière le texte dans son intégralité, que de tenter d’en éclairer les facettes les plus significatives. La complexité d’une telle œuvre, malgré son évidente brièveté, offre tant de possibilités d’angles d’exposition - dans l’espace, mais aussi dans le temps – qu’elle ne s’accommodera jamais de la prétention d’en faire une lecture fermée et définitive.
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ÉCRIVAINS PUBLICS
OBJECTIF N°1 : SORTIR LE MÉTIER DE LA BOUTEILLE À ENCRE !
Nous voilà donc parvenus (ou peu s’en faut) au terme de notre formation. Les derniers dossiers sont rendus ou en passe de l’être. Dernière épreuve de poids – et de choix – la soutenance du rapport de stage. Et après ? Après, il nous restera à voguer, chacun pour soi et Dieu pour tous, vaille que vaille au service d’un métier méconnu, compromis entre bouthéon et bouteille à encre, que d’aucuns s’ingénient –pour leur seul profit – à maintenir dans une ombre peu propice aux vrais professionnels - que nous serons dès demain - qui ont obtenu, pour pratiquer, un vrai diplôme !
Alors, c’est peut-être à nous qu’incombe la responsabilité de faire de cette profession à la sauvette un vrai métier. C’est sans doute à nous qu’il appartient de le définir, d’en circonscrire les limites et d’en moraliser la pratique. C’est sûrement à nous que revient le devoir d’y associer nos prédécesseurs, ceux qui nous ont formé et tous les futurs étudiants prêts à prendre la suite. On pourra toujours nous rétorquer que l’Ecrivain Public exerce moins un métier qu’un apostolat. C’est d’autant plus vrai que nous avons pu toucher du doigt les limites d’une ascèse qui rapporte à certains moins de 30 euros par mois… charges déduites, heureusement !
Ne serait-il pas temps de nous unir et de mettre nos énergies en commun au service de la reconnaissance d’un métier qui s’exerce par passion mais qui doit permettre de vivre décemment. Une structure unificatrice et quelques idées-forces pourraient être un début de réponse, qu’en pensez-vous ?
1. Création d’une Association appelée à rassembler, autour de la reconnaissance de l’Ecriture Publique, les Ecrivains publics dûment diplômés d’une Université Publique, les étudiants en cours de formation, leurs enseignants, les associations intervenant dans l’Ecriture Publique, et d’une manière générale tous les amis de l’Ecriture Publique.
2. Interventions de l’Association pour la reconnaissance et la valorisation du Diplôme d’Ecrivain Public/Auteur Conseil/Animateur d’Ateliers d’Ecriture décerné par une Université d’Etat. Réflexion autour des différentes facettes du métier d’Ecrivain Public en vue d’une éventuelle délimitation de ses compétences professionnelles.
3. Réflexions menées pour l’élaboration d’une Charte déontologique, travaux autour de l’unification des tarifs des différentes prestations. Mise au point d’un annuaire national des Ecrivains Publics.
4. Participation au suivi de la formation initiale et aux réunions pédagogiques. Animations de réflexions et de conférences sur l’exercice du métier d’Ecrivain Public...
Vous le voyez, la tâche s’annonce rien moins que titanesque. Mais ce métier hors du commun, qui a voulu de nous autant que nous l’avons choisi, n’en vaut-il pas la peine ? Il vous appartient, il nous appartient, de sortir de la nuit et d’être enfin connus et reconnus pour ce que nous sommes : des professionnels au service de l’Ecriture pour tous, mais pas à n’importe quel prix !
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